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PROPOSITIONS DE REFLEXION POUR UN ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

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14 juillet 2007

PENSER L EDUCATION DE MANIERE LIEE

Comment penser l’éducation de manière liée  ?
(enfance, démocratie et autorité)


A la suite d’Arendt, de nombreux penseurs ont évoqué une « crise de l’éducation » ou de l’autorité en milieu scolaire et ils ont lié cette difficulté aux exigences de la démocratie ou de la modernité. L’éducation est une des relations que l’adulte peut entretenir avec l’enfant. Cependant, des adultes en « crise » peuvent-ils réellement prétendre former des enfants sains et peut-on, sans danger, lier la crise de l‘éducation à la modernité ou la démocratie ?

Nous ne le pensons pas. Ce que nous entendons démontrer ici est que, si la démocratie implique des exigences qui doivent être prises en compte pour adapter nos méthodes pédagogiques, elle n’est nullement cause d’une crise quelconque.

Au contraire, nous considérons que nous ne parviendrons pas à résoudre la « crise » éducative actuelle si, d’une part nous ne trouvons pas de réponse liée à ce problème ; si, d‘autre part, nous considérons que la démocratie n‘est pas la cause de cette « crise » mais une donnée incontournable qu’il s’agit de reconstruire perpétuellement à partir de la relation éducative et si, enfin, nous n’admettons pas que c’est l’absence de vie démocratique réelle qui est la cause de nombre de nos difficultés.

La démocratie « réelle » est, selon nous, celle qui parvient à prendre en compte les intérêts de tous. Elle ne postule pas une vérité au détriment d’une autre sauf si cette vérité est indiscutable. Cette « démocratie » réelle implique le droit de s’exprimer pour chacun. Elle exclut donc, comme Rawls l’a montré, la domination d’une minorité par le plus grand nombre ou l’inverse sauf si cette minorité défend une vérité juste au sens du groupe. Elle donne le droit aux enfants,comme aux adultes de s’exprimer,à ceux qui savent tout comme à ceux qui ne savent pas, de vivre pour ce qu’ils estiment digne. En revanche, la démocratie réelle s’oppose à la « démocratie idéelle ». Elle ne considère pas que chacun possède toujours en lui les moyens d’exprimer sa propre vérité et elle admet quelques inégalités en ce domaine. Cependant, elle ne fixe aucun dogme et suppose que la minorité qui sait n‘est jamais définitivement savante et que ces droits sont liés aux devoirs qui sont les siens.

La démocratie « réelle » croit donc à la vérification et à la justification contre le dogmatisme. Certes, elle appartient en un sens - et pour les cyniques - à une utopie mais elle se considère - et cette affirmation n’est pas paradoxale - comme une utopie possible.  Elle croit en la totalité contre le totalitarisme. La totalité c’est le lien entre les hommes et le fait que le vrai ne se postule pas mais qu’il résulte d’un échange entre chacun d’eux. Or la totalité ne peut s’opérer sans des réponses liées.

Une réponse liée est un ensemble de solutions données pour résoudre un problème. Elle suppose ces solutions coordonnées les unes aux autres et cohérentes les unes par rapport aux autres. Si le lien est préférable en tout, il nous paraît indispensable dans la relation pédagogique et en démocratie.

En effet, la démocratie n’est pas possible sans lien. Elle est le régime de la vérité exprimable par tous ; or une vérité ne peut être écoutée si celui qui la dit est trop éloigné de nous. De plus, elle est le régime qui permet d’explorer toutes les vérités et n’en suppose aucune acquise. Elle implique donc recherche continuelle mais elle ne doit privilégier aucun axe de travail au détriment des autres. Il lui faut écouter tous les points de vue mais elle ne postule pas que tous les citoyens savent. Elle sait hiérarchiser ces points de vue.

Elle implique simplement que ceux qui s’expriment sont tous des « sachants » en puissance, que c’est cette puissance qu’il importe de mettre en œuvre en usant de tous les moyens possibles et que les plus informés ont le droit de transmettre leur savoir aux autres à la condition que ces savants puissent s‘informer les uns les autres, sans frontières.

L’enfant -si nous acceptons que l’enfance existe - n’étant  pas en principe formé donc n’étant pas « mesuré » est  - quant à lui, dans des logiques de l’extrême. L’enfance et l’extrême font d’ailleurs souvent « bon ménage ».
Pour le « jeune être » qu’il est le « lien » est nécessaire. Il le recherche en l’adulte car il n’a pas les moyens de le construire par lui-même. Il le réclame car il est attentif à la moindre des incohérences de ce dernier. Il attend « tout » de l’adulte et malgré ses bravades, l’enfant croit encore en un absolu qui peut le rendre moins tolérant à l’égard de celui qui prétend le former. Il supporte moins la faute et cela explique pourquoi il en commet. Son manque de « foi » en lui commande ses actions et implique le besoin de fondements clairement définis. La représentation qu’il a de lui-même est encore incertaine et pour cela exige des attitudes sans ambiguïté de la part de ceux avec qui il est en relation. 

De plus, une action « liée » lui offre des repères solides. Elle ne le déçoit pas et lui donne une certaine foi en lui-même. Si, en effet, un adulte -en général et par indifférence ou charité - ne nous tient que peu rigueur d’être en contradiction dans notre démarche, l’enfant, plus sensible et plus « idéaliste », a tendance à voir dans tout décalage une trahison et nul n’écoute ceux qui le trahit ; or il est incohérent de prétendre éduquer un être qui ne vous écoute pas.

Mais que faut-il lier ? Tout, aurions-nous envie de répondre et c’est bien la difficulté du projet proposé : la théorie et la pratique, l’autorité et la loi, la loi et sa mise en œuvre, les lois entre elles, les différentes approches du sujet et surtout la démocratie, la tolérance envers l’autre et l‘école. Reste à trouver les moyens de créer ces liens et les lier entre eux. Pour y parvenir, il importe de trouver une méthode de recherche qui serait liante en ce qu’elle n’ignorerait ni les exigences de la démocratie réelle, ni celles de la modernité et du savoir possible. Cette méthode passe par un double refus. 

***
La méthode de recherche : le double refus des couples extrêmes

Dans ce premier moment de notre travail, il s’agit de déterminer un fil conducteur afin de guider notre recherche et, pour ce faire, proposer que celle-ci trouve un chemin entre deux couples d’extrêmes : le cynisme et l’idéalisme d‘un côté (premier « couple » d’opposés) ; le « démocratisme béat»   et la « méfiance démocratique »  de l‘autre (second couple de contraires).

a )Refuser le couple: cynisme/idéalisme.

En matière de pédagogie, le cynisme est fréquent mais peu avoué. Il suffit pour s’en convaincre de lire des témoignages d’enseignants sur le sujet. L’enseignant n’aurait, selon certains, pas d’autres alternatives que celle de se taire ou de trouver les moyens de survivre face à des classes elles-mêmes désabusées et tristes (Milner 1999). Il serait impossible de penser la pédagogie, tout ne serait qu’affaire d’urgence et de gestion des intérêts égoïstes.
A la question : « pourquoi enseigne-t-on ? », le cynique répondra au mieux : « parce qu’il existe des écoles et qu’il faut bien des enseignants pour les remplir », au pire parce qu’il faut « dresser la majeure partie de la population pour qu’elle serve les intérêts d’un petit nombre». (Reymond 1999).

Le cynisme - outre ses contradictions internes telles celle de croire en une philosophie (le cynisme) alors pourtant que celle-ci enseigne qu’il ne faut croire en rien- ne nous paraît nullement acceptable en l‘occurrence. En effet, une telle philosophie ne nous place guère en situation favorable pour trouver des solutions à la « crise » de l’éducation.

De plus, tel le scepticisme, elle favorise plus le désespoir qu’elle ne le guérit car si nous n‘avons rien à apprendre, si toutes nos vies ne reposent que « sur du sable », l‘enseignement reste vain et tout ce qui a été autrefois construit peut-être détruit, ignoré.

Or la vie d’un homme est trop brève, les beautés du passé trop nombreuses, les incertitudes de l’avenir trop grandes,la difficulté d’une remise en cause totale de l’éternel trop aléatoire, notre capacité de savoir trop faible pour que nous puissions ainsi nous passer des leçons du passé et de son lien au présent et à l‘avenir. 

Cependant s‘il doit être rejeté pour ses imperfections, le cynisme ne peut être totalement méprisé car cette philosophie est une antidote sérieuse à l’autre mal qui ronge le pédagogue : l’idéalisme.    

Sur les questions pédagogiques, l’idéaliste a - comme toujours et quant à lui - une réponse absolue à tous les problèmes. Il pense que l’éducation peut véritablement permettre de « façonner un nouvel homme », préparer notre société à « affronter les difficultés de l’avenir », construire « l’homme universel et rationnel de demain » etc…

L’idéalisme ne nous paraît guère plus acceptable que son opposé. Il suppose, en effet, que notre monde a tout résolu, qu’il sait tout et qu’il peut ainsi tout transmettre à l’enfant sans que celui-ci ait un message original à nous transmettre.

Il ignore que l’enfant est appelé à vivre dans un monde qui sera différent pour partie de celui de l’adulte et que ses préoccupations divergent des siennes sur ce point. Il ne veut donc pas reconnaître qu‘il existe - si ce n’est un « monde de l’enfance » - au moins une préoccupation de l’enfant qui diffère de celle de l’adulte en ce que celle-ci est inconsciemment plus prospective, plus tournée vers l’avenir que celle de ses aînés mais en même temps nécessairement plus confuse car moins en phase avec le langage et ses propres sentiments. 

De plus, l’idéalisme suppose l’existence de la transcendance ou, à tout le moins, de l’éternité or celle-ci n’a jamais été démontrée - ni réfutée - de manière certaine et absolue. En tout état de cause, celle-ci n’est affaire que de foi. Elle est donc intime et personnelle.

Cependant, malgré le fait que cette philosophie impose à tous, indépendamment de la foi de chacun, l’idée d’une ou plusieurs « essences » envisageable hors de toute contingence, l’idéalisme présente un avantage : cette philosophie donne un espoir, elle suppose que l’existence de chaque adulte( voire de quelques uns d’entre eux au moins) a été utile, que des découvertes ou des élaborations peuvent bénéficier aux générations suivantes.

D’une manière générale, l’idéalisme nous détache donc du temps. Il nous laisse croire que la vie n’est pas toujours vaine, qu’elle n’est pas seulement dictée par l’éphémère et le présent, qu’elle peut créer une beauté intemporelle, qu’elle peut permettre de recueillir un certain savoir sur le passé, le présent ou un avenir (même rationalisé) qui peut bénéficier aux générations suivantes.

L’idéalisme donne donc de l’espoir car il permet à ces enfants de croire qu’ils pourront également acquérir, construire, créer et que leurs créations ne seront pas toujours victimes de la temporalité de l’existence ; qu‘elles ne seront pas éphémères comme nos vies.

L’idéalisme donne donc la sécurité - celle d’une possible éternité -  parfois nécessaire pour aider à construire des fins. Or l’espérance d’une fin possible et dégagée du temps ou de l’espace accroît le nombre d’actions motivées et motivantes et la qualité de celle-ci.

Mais à trop éclairer l’avenir, l’idéalisme peut finir par nous illusionner sur notre sort. Il présente donc  également un  autre inconvénient : à trop haute dose, il peut nous laisser croire que cette éternité est la règle alors qu’elle n’est qu’une exception elle-même, tout aussi hypothétique(pour certains) que la non-existence de l’éternel. Il peut nous éloigner des « réalités » concrètes de l‘existence,confondre la raison humaine et la raison « divine », si elle existe. Il peut ainsi tout autant aider à construire que détruire et conduire l‘homme à se prendre pour Dieu alors qu’il n’est qu‘homme.

Le pédagogue ne doit donc pas oublier cette leçon et afin de croire en lui sans trop y croire, il lui importe donc de n’être, selon nous ni cynique ni idéaliste.

En effet, lorsqu’il œuvre en démocratie, le « professeur » vit dans un monde où tous les savoirs, toutes les vies se valent, il lui faut donc plus qu’en tout autre régime ne jamais se couper de ceux à qui il enseigne, ni de lui-même car l’illusion du pouvoir y est moins forte qu’ailleurs. En d’autres termes, l’enseignant en démocratie a certes perdu une part de la domination incontestable qu’il impose aux autres (dans les  régimes plus sévères) mais il a gagné une proximité qui fait disparaître l’illusion. Il peut ainsi permettre la mise en oeuvre de véritables liens à la condition que la rupture - entre lui-même et l’enseigné - ne soit pas trop conséquente.

En démocratie, le pédagogue ne doit donc pas, selon nous, se laisser désespérer par le manque de ces illusions et de ces « pompes » qui entourent les régimes non démocratiques. Cette absence est une force qui peut lui permettre de mieux penser le lien; or l‘intelligence a à faire avec le lien et la globalité. Il ne peut s’opérer si aucun effort n’est effectué pour tenter de lier le réel et l’idéal. Pour y parvenir, il doit donc combattre tout ce qui illusionne en trompant. Or le cynisme et l’idéalisme portent en eux des illusions trompeuses en ce qu‘elles éloignent du possible.

L’enseignant doit donc transmettre sans donner l’illusion trompeuse du savoir mais il ne doit pas pour autant se désillusionner. Il lui faut agir en maintenant des liens réguliers qui se nouent les uns aux autres pour former d‘autres liens. Mais comment le pourrait-il ?

Ce dernier est, en effet, marqué par le présent. Son savoir le porte vers un passé et un avenir rationalisés. Son existence le contraint à vivre dans une contingence distincte de celle de l’enfant. S’il veut transmettre une part de ce présent et de ce « passé » à l’enfant, il lui faut trouver un point médian, un axe qui rassemble. Il convient d’utiliser un langage qui ne condamne ni cet « avenir enfantin » ni ce présent et ce passé qu’il importe de léguer aux générations qui suivent.

Il doit donc tout autant croire en son savoir qu’en celui de l’enfant et pour autant savoir que ces connaissances peuvent n’être qu’illusions. S’il est un paradoxe et une crise de l’éducation c’est bien celle-ci et elle n’a que peu à faire avec la démocratie. Elle concerne plus spécifiquement la relation de l’homme au savoir. Mais comment résoudre cette douloureuse équation ?

Pour ce faire, le pédagogue peut laisser la parole libre. Cependant, cette liberté ne doit pas être « idéelle ». Elle doit tenir compte des différences indépassables qui existent entre lui et l’enfant ; il lui importe donc d‘éviter un autre couple d’extrêmes.

b) Refuser le second couple d‘extrêmes: la méfiance démocratique/ le démocratisme béat.

Notre relation à la démocratie n’est pas indépendante de cette « crise », nous l’avons vu, mais qu’est-ce qui dans notre lien à la démocratie fait obstacle à la pédagogie la plus efficace et la plus juste qui puisse être ? 

La relation à la question démocratique crée deux attitudes qu’il faut, selon nous, écarter : la première se nomme : « méfiance démocratique ». Elle consiste essentiellement à expliquer la « crise » de notre système scolaire par le régime démocratique. Cette posture ne doit pas nous guider dans nos recherches. Elle s’approche, en effet, d’un certain cynisme philosophique et détruit l’espoir démocratique plus qu’elle ne le fonde. Cependant comme tous les extrêmes évoqués,elle ne peut être totalement méprisée car elle nous éclaire parfois sur des illusions qu’il importe d’éviter.

La seconde « dérive » s’appelle,selon nous, « le démocratisme  béat ». Elle suppose que la majorité a toujours raison et que la loi de la majorité doit être la première loi de l’éducation et, ce au détriment d’un certain savoir.
Elle doit être écartée car elle confond démocratie réelle et démocratie idéelle. Elle suppose que l’avenir seul doit être pris en compte dans une relation d’enseignement et nie ainsi les liens qui pourraient exister entre cet avenir et le passé. En revanche, elle ne doit guère - comme les précédentes doctrines évoquées - être totalement ignorée car elle constitue une antidote réelle à l’encontre de ceux qui voudraient ignorer les nécessités de notre modernité et la parole de l’enfant. Examinons ces deux « dérives ».

1° La méfiance démocratique, pourrait se décomposer en trois doctrines : la méfiance morale, historique et politique. La méfiance « morale » insiste sur le leurre démocratique et les illusions que la modernité a fait naître ; la méfiance historique met en évidence les « pertes » de notre modernité dans notre relation à l’enfance . Quant à la méfiance politique démontre les liens entre la démocratie et les difficultés d’enseigner dans la modernité.

La méfiance «morale » : Sans prétendre ici réduire à ce seul point, une pensée féconde dont nous avons par ailleurs( Sarfati 2004) tenté de mettre en évidence toute la richesse, il nous semble que la philosophie développée par Michel Foucault dans son maître ouvrage « Surveiller et punir » soit une bonne illustration de cette méfiance.
Foucault, nous le savons, accuse la modernité d’avoir « quadrillé » la société et d’avoir utilisé l’enseignement comme moyen de  ce «quadrillage » à partir du dressage régulier des corps et des esprits (des corps plus que des esprits d’ailleurs pour Foucault qui évoque que selon ces doctrines « l’âme devient prison du corps »).
L’éducation démocratique ne serait donc qu’un alibi, un autre outil de cette philosophie de la « surveillance » qui caractériserait notre modernité.

Cette critique « morale » foucaldienne ne nous paraît pas devoir être retenue car la république en massifiant l’éducation a néanmoins permis de démocratiser le savoir et en le démocratisant de l’ouvrir, de le faire progresser et en même temps d’améliorer de manière notable le sort des plus démunis. Mieux valait vivre dans la France de la Troisième république que sous le potentat ottoman du début du vingtième siècle ou sous les régimes totalitaires de la même époque. Il faut donc faire crédit aux démocraties de leur souci éducatif et ne pas leur faire un trop rude procès.

De plus, admise sans recul, une telle philosophie contient une désespérance démocratique qui nous paraît périlleuse en des temps où la démocratie même est en danger, attaquée de toute part, contrainte de se défendre face à des « ennemis » qui lui refusent le droit à l’existence et veulent introduire à sa place des totalitarismes plus périlleux que les illusions qu’elle véhicule parfois au bénéfice de quelques uns.

Cependant, la thèse foucaldienne ne doit pas pour autant être tout à fait écartée. Foucault est le philosophe de la dénonciation. Il entend avant tout nous protéger contre ceux qui nous trompent et qui,sous couvert, de la démocratie ont renforcé le pouvoir de quelques uns au détriment du plus grand nombre. La démocratie c’est le règne du droit, nous rappelle Foucault or le droit peut culpabiliser, il peut aider à la reproduction d’une élite, au conservatisme et donc à la négation de la démocratie réelle qui suppose au contraire que le savoir et le pouvoir ne sont jamais tout à fait acquis et que le doute, ou l’ouverture - comme le dira Popper - restent toujours les données essentielles d’une société« ouverte ».

La critique foucaldienne ne porte donc pas en elle que des illusions. Elle peut également constituer un outil utile pour démasquer certaines de celles que l’on entretient au détriment de la véritable démocratie. 

La méfiance historique : l’évolution historique peut expliquer bien des crises. Certains auteurs ont ainsi soutenu qu’en se construisant au fil du temps, la modernité a élaboré un modèle éducatif qui a lui-même peu à peu créé des ruptures dont nous ne nous sommes pas tout à fait remis et ces ruptures mal acceptées ont provoqué des crises.

Ces fractures ont été mises en évidence par Philippe Ariés. On se souvient des deux grands axes de la recherche historique de cet auteur. En effet, dans «l’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime », ce dernier soutient que notre modernité peut se distinguer d’une part, par le retrait à la famille de la responsabilité éducative de l’enfant et d’autre part par l’intérêt constant de la modernité pour l’enfance ; intérêt qui a insidieusement conduit à une aggravation du gouffre séparant l’adulte de l’enfant, lui-même à l’origine de la crise actuelle. Comment nous positionner face à ces thèses ?

Il est indéniable que notre modernité accorde plus d’importance à l’éducation scolaire qu’à l’éducation par la « famille » au sens large du terme et que ce retrait explique peut-être quelques difficultés et démissions que nous déplorons.

Cependant, cette coupure nette entre « modernité » et « monde des anciens » ne peut être retenue en totalité. En effet, comme en témoigne Alain Boyer (Boyer 2002 et 2004) cette discontinuité entre les deux mondes peut être réinterrogée. De plus, les auteurs nous confirment que la pédagogie n’est pas un souci exclusivement moderne.

La « République » de Platon, est, comme Rousseau l’a justement souligné, un ouvrage de pédagogie. De plus, il suffit de lire « Le Livre des Proverbes » pour noter le nombre conséquent de « conseils pédagogiques » inclus dans ce texte. De tous temps, les civilisations - dès lors qu’elles faisaient preuve d’une culture appréciable - se sont souciées de l’éducation de leurs enfants.

Cependant, de même que la thèse « foucaldienne », la « philosophie » de Ariés ne doit-elle pas être tout à fait ignorée. Elle nous rappelle en effet certains excès de la modernité. Elle nous indique que celle-ci a peut-être trop écarté l’enfant de la famille et des métiers. Elle nous précise qu’une réflexion « liante » sur le sujet ne pourrait tout à fait penser l’enfant sans l’adulte et l’éducation de ceux-ci sans les problèmes conjoints qui sont liés à elle.

Elle nous incite également à adopter une certaine méfiance à l’égard de ceux qui voudraient restaurer l’autorité trop entière à l’école car, ainsi que Tocqueville nous l’a rappelé, la démocratie peut faire naître un monstre : celui d’un Etat trop paternel qui déresponsabiliserait chacun et se préoccuperait du sort de tous en niant les singularités. Or trop d’autorité étouffe la singularité. De plus l’autorité renforce les pouvoirs de ceux qui en disposent. Or si par le biais éducatif, aucune limite n’est pensée relativement à l’autorité du maître et si les familles, si les associations ne sont pas restaurées, les groupes non protégés, c’est cette démocratie même qui peut finir par disparaître ou se laisser absorber par un groupe au détriment de tous les autres. Une pensée globale sur l’éducation ne doit donc pas ignorer ces incidences.      

La méfiance politique  Dans la lignée de Platon et( dans une certaine mesure) de Tocqueville, des auteurs ont cherché à expliquer la « crise de l’éducation » par l’essence de l’homme démocratique. Hannah Arendt dans « la crise de la culture » reprend cette critique de manière plus nuancée, il est vrai, en plaçant la modernité au centre de ses réflexions.

Après avoir fustigé les méthodes « modernes » d’éducation essentiellement tournées vers le « faire » (il semble ici qu’elle vise notamment les thèses de Piaget), cette auteur explique la crise de l’éducation de la manière suivante : « Dans le monde moderne, écrit-elle, le problème tient au fait que, par sa nature même, l’éducation ne peut faire fi de l’autorité ni de la tradition et qu’elle doit s’exercer dans un monde qui n’est pas structuré par l’autorité, ni retenu par la tradition ».( Arendt 1972).

En d’autres termes,pour Arendt, l’éducation, a besoin, par nature d’autorité. Cependant, les démocraties ne supportent pas celle-ci. En conséquence, une crise se produit car le nécessaire devient impossible et l’impossible provoque une crise car sa non-réalisation sape les fondements mêmes de la relation pédagogique. Enfin, Arendt lie cette crise de la démocratie à la crise de la tradition et du religieux.

Nous ne pouvons adhérer à cette pensée, certes subtile, et ce pour trois raisons : a) comme en témoignent tous les biographes d’Augustin,qu’Arendt connaissait parfaitement, nous savons que l’auteur des « confessions » eut lui-même à souffrir de la médiocrité du système éducatif de la fin de l’Empire Romain pourtant lui-même peu susceptible d’être taxé de laxisme en matière d’autorité ; b) la question de la relation délicate entre modernité et éducation a, dès l’origine, été pensée par les auteurs de la « modernité ». Locke dans l’ouvrage qu’il a consacré à cette question insiste sur la nécessité, pour le maître , d’obtenir « une soumission complète ( des enfants) à leur volonté… ».  Mais pour Locke, l’autorité doit essentiellement être morale  et pour lui, elle n’implique pas une force car (Section III.Locke ) «  des châtiments trop sévères ne  font pas beaucoup de bien et font au ontraire  beaucoup de mal » en ce qu’ils habituent l’enfant à une soumission trop grande. Kant, dans ses réflexions sur le même sujet, en vient à des conclusions analogues lorsqu’il nous recommande de ne pas sanctionner l’enfant trop durement mais parfois de lui exprimer notre mépris lorsqu’il commet une faute. Les « lumières » ont donc le plus rapidement cherché une « troisième voie possible » entre le laxisme mou des démocrates idéalistes et l’intolérable sévérité des méthodes pédagogiques d’ancien régime. c) Enfin, comme le rappelle le « Livre des Rois » , la « tradition » n’a jamais ignoré la question de la démocratie. Elle l’a même toujours plébiscité puisque le schisme entre Israël et Juda - cause partielle de la perte des hébreux - y est notamment expliqué par le refus des descendants de Salomon de laisser une place au peuple et - incidemment - par la volonté des rois d‘installer un pouvoir autocratique.

En conséquence, la crise de l’éducation ne saurait exclusivement trouver sa source dans le système  démocratique car d’une part, les régimes violents souffrent tout autant - si ce n’est plus - d’une école de piètre qualité et d’autre part, la modernité a toujours cherché (au moins pour ses principaux penseurs) à concilier une autorité acceptable et une liberté nécessaire. Enfin, la difficulté d’harmoniser autorité du pouvoir et démocratie est une problématique ancienne.  La méfiance « démocratique » ne peut donc être tout à fait admise. Mais celle-ci ne doit pas pour autant faire place à un « démocratisme  béat » contre lequel elle crée un antidote non négligeable. C’est ce « démocratisme » qu’il nous faut cependant interroger à présent.

1° Le « démocratisme béat »

En lisant Foucault, Arendt et Ariès, nous pouvons aisément dessiner en quelques traits ce que pourraient être les grandes lignes de cette doctrine. Etre démocratiquement « béat » consiste à se refuser d’interroger toutes nos procédures dites démocratiques (notamment en matière de sélection des enseignants, d‘autorité de ces derniers, de formation, etc…) et à les tenir pour justes sous prétexte qu’elles seraient établies par le « droit » . Or le « droit » , nous le savons n’est pas le juste. Il peut parfois masquer des procédures qui favorisent la reproduction d’une élite au détriment des autres et il peut introduire une distorsion dommageable entre le « savoir réel » et le « savoir affirmé ou reconnu ».

Or si la démocratie « réelle » admet le pouvoir de certains, le droit d’éduquer à d’autres, ce pouvoir est nécessairement subordonné à un savoir(lui-même) « réel » et il ne doit pas cautionner un savoir illusoire (qu’il ne faudrait pas nécessairement confondre avec culture) ou qui reposerait sur des fondements qui ne pourraient être réinterrogés loyalement. 

Le démocrate « béat » ignore également que la démocratie peut créer des distorsions à l’intérieur de l’individu et ne pas l’être implique également une écoute attentive à toutes les logiques dites « traditionnelles » dont l’individu peut aussi parfois avoir besoin pour se construire et se lier. Or la démocratie réelle, ne peut se construire sans lien et le lien entre les citoyens ne peut s’opérer s’il n’est pas laissé à chacun le droit de se construire en respectant les traditions qui sont les siennes à la condition qu’elles ne heurtent pas les principes de cette démocratie réelle qu‘il s‘agit d‘élaborer.

Enfin le démocrate « béat » pense que la majorité a toujours raison et que l’enfant a le droit de « tout dire » et « tout faire ». Or cette démocratie est illusoire. Elle nie même la nature du concept  d’éducation qui implique en lui-même : décalage et inégalité entre l’enseignant et l’enseigné. Or un surcroît de légitimation doit être reconnu à celui qui dispose de cette supériorité. En effet, si le droit n’est pas le juste, nous savons que le juste n’est pas nécessairement l’égal.

En conséquence, la démocratie béate ne doit pas être notre projet. Elle doit, au contraire, être l’un des écueils qu’il nous faut éviter. Il ne faut cependant guère plus l’ignorer que la thèse qui la contredit car les idées des démocrates « béats » nous rafraîchissent parfois. EIles nous rappellent les incohérences mêmes de notre système. Elles viennent fréquemment au secours d’un enfant qui est souvent plus ignoré qu’on ne le dit. Elles nous demandent de faire preuve d’inventivité et de courage pour accepter de rencontrer l’autre. Cet apport en soi ne peut donc être méprisé.

Notre méthode de pensée doit donc tenter de trouver une « voie moyenne » entre ces deux couples d’extrêmes mais elle doit faire en sorte de ne jamais ignorer les leçons qu’ils nous proposent de méditer. En matière éducative, il nous faut donc trouver les moyens d’installer un idéalisme du possible ou un réalisme idéaliste. Il nous faut tenter de résoudre le paradoxe éducatif par l’instauration de ce paradoxe même que constitue l’utopie possible.

Cette voie ne peut être trouvée, selon nous, si nous ne nous proposons pas d’interroger à nouveau les fins de l’éducation. Pourquoi enseignons nous et surtout quels buts proposer à l’enseignement dans un système démocratique et ce afin que ni l’enfant ni le professeur ne retombent dans l’idéalisme, le cynisme, une méfiance démocratique ou un démocratisme béat ?

En d’autres termes, quelles directions proposer aux enfants afin qu’ils harmonisent les données de chacune de ces théories pour construire, à partir de l’éducation, cette démocratie réelle « malgré » et avec des adultes auxquels ils doivent être liés sans être enchaînés pour autant ?

***
Quelles fins possibles pour l’éducation en démocratie ?

Notre projet ici est de trouver des méthodes « liantes », des options qui ne mettraient en péril ni l’idéal, ni le réel et qui tenteraient de les concilier l’un et l’autre. Pour y parvenir, nous pouvons engager notre réflexion à partir du possible. Ce concept présente, en effet, l’avantage d’offrir une jonction entre le souhaitable et le réel.

Ce qui est possible n’est pas encore - il n’est donc pas le seul reflet des plats intérêts du moment - mais n’est pas « impossible », en ce sens qu’il se propose des fins qui pour n’être pas réelles sont peut-être réalisables. Mais comment trouver de telles fins ? Pour y parvenir,nous pouvons tenter d’exclure celles qui, précisément, penchent trop vers l’extrême : les fins trop « idéalistes »,« trop cyniques » ou trop positives pour ensuite tenter de réfléchir sur la possibilité même de ce « possible » éducatif.

a )Les fins trop ambitieuses ou trop cyniques.

Certains soutiennent que nous prolongeons actuellement la période scolaire des adolescents pour éviter « que les chiffres du chômage ne gonflent… »(Reymond 1999). Bien que triviale, une telle explication cynique est suffisamment répétée pour mériter d’être rappelée et écartée. Tout législateur consciencieux doit au contraire se rendre à l’évidence que le prolongement des études est sans effet sur le chômage et, qu’au contraire, à trop vouloir imposer l’éducation pour tous, c’est l’éducation et les pratiques intellectuelles qui sont remises en cause.

Tout un chacun n’est pas nécessairement fait pour être penseur, cadre ou dirigeant d’entreprise. Certains sont plus doués de leurs mains,d’autres plus doués pour le « commerce » ou l’artisanat. Les dernières professions nommées exigent des stages, des apprentissages plus que de longues études théoriques. En revanche, ces adolescents ont besoin d’une éducation permettant d‘épanouir leurs facultés intellectuelles et morales, faciliter leur intégration au groupe plus que d’une pédagogie aveugle qui ignore à quelle(s) fin(s) elle(s) œuvre(nt).

Ils ont également besoin que leurs métiers soient revalorisés, qu’ils soient considérés mais il leur faut également admettre que tout ce qui est « intellectuel » ou de l’ordre de la recherche n’est pas nécessairement « inutile » comme ils le soutiennent parfois avec une certaine candeur. Ces adolescents ou enfants ont donc, besoin (comme nous tous) de s’accepter et de s’exprimer. L’école doit donc leur en laisser le moyen. Celle-ci doit-elle, dès lors, être le lieu de l’apprentissage d’une certaine « transcendance » ?

Tel est bien le projet d’Augustin. Dans son « De Magistro », celui-ci souhaite que l’enseignement ait  pour but de révéler à l’élève son Maître Intérieur, sa vérité, elle-même dictée par une transcendance. Cependant, même si l’auteur de la « Trinité » estime que la rhétorique et les « civilités » ne doivent pas être exclues d’un enseignement traditionnel et juge qu’une telle ouverture au divin n’est possible que si la foi précède la révélation, son projet ne peut,dans une démocratie laïque telle que la nôtre,  être retenu.

D’ailleurs, si un tel programme était mis en œuvre, il n’est pas assuré qu’il ne se retournerait pas contre ses auteurs en conduisant plus à une « haine » du divin qu’à un amour de celui-ci. Alors faut-il que l’école véhicule la religion de la science et de la raison ?

Tel était le projet des lumières en leur souci de former un « homme universel » ou « vertueux ». Mais celui-ci ne nous paraît guère plus préférable que le précédent en ce qu’il peut également provoquer la haine de cette raison universelle que l’on prétend enseigner mais surtout en ce qu’il paraît difficilement résister à la célèbre objection que Socrate adressait à Ménon ( Ménon 98 e).
Nous savons en effet, que le maître de l’auteur de la République reprochait aux sophistes de vouloir enseigner la vertu sans même pouvoir la définir, ni être assuré qu’il puisse y avoir des « maîtres » en ce domaine.

En conséquence si les maîtres extérieurs n’existent pas et si la découverte d’un Maître Intérieur ne dépend pas de l’enseignement et risque d’éloigner de celui-ci ou au pire de nous en donner une vision trop dogmatique  ; quelle(s) fin(s) possible assigner au pédagogue ? L’enseignement ne devrait-il répondre qu’à de simples soucis pragmatiques ou positivistes ?

b) Les fins positives : Certains rapports politiques se proposent de fixer comme but à l’enseignement la « réussite du plus grand nombre d’élèves ». Mais cet objectif ne paraît guère être de nature à satisfaire notre recherche téléologique. Il semble exprimer une exigence d’efficacité et non pas permettre la mise en œuvre d’un véritable projet social commun pour l’éducation. Car enfin, réussir pour quoi et dans quel domaine ? L’acquisition d’un socle « minimum commun » peut-il à lui seul valoir projet pour notre éducation ? La culture en elle-même peut-elle être une fin en soi et qu’est-ce qui nous interdit (comme le faisait récemment Pierre Manent) de placer la redécouverte de la ou sa « nature » au centre de la pédagogie, la culture devenant un moyen pour réaliser cette fin ?

Devons-nous nous limiter à cette « nature » et aider à sa découverte, à son « désenfouissement » ? D’aucuns - moins ambitieux, mais bien plus critiques pour autant - (Desjardin 1999) proposent semble-t-il une telle fin puisqu’ils ne demandent rien moins à l’école que de « former l’enfant au monde des adultes ».

Mais une telle proposition ne nous paraît guère satisfaisante en ce domaine. En effet, quel type d’adultes est-il demandé aux enseignants de former ? S’agit-il de former des dirigeants, des citoyens soumis, des futurs cadres pour la nation, des manœuvres, des ouvriers ? Le terme d’ « adulte » reste lui-même assez énigmatique. Entendons-nous ici une catégorie d’hommes ayant un jugement « mesuré » sur le monde ? Si tel est le cas, c’est de vertu dont il s’agit et il n’est pas certain que l’âge ait toujours à faire avec cette qualité là. Les enfants véhiculent parfois une mesure surprenante en certains domaines et peu(d’adultes) pourraient prétendre posséder en quantité suffisante cette qualité pour pouvoir l’enseigner à autrui. Alors que faire ?

Cette question de la finalité de l’éducation laisse perplexe et nous pouvons nous demander si la difficulté contemporaine qui est la nôtre de donner une réponse susceptible d’entraîner l’adhésion du plus grand nombre sur cette question n’est pas soit à l’origine de cette « crise » éducative que nous cherchons à analyser, soit le symptôme d’une maturité libérale subite en ce domaine , soit le symptôme d’une société éclatée qui transfert « inconsciemment » sur l’école l’ensemble de ses déchirements ; dans la négative, comment dessiner un possible en ce domaine ?

c)Le possible est-il possible et le silence actuel à son sujet est-il signifiant  ?

Rares sont aujourd’hui les auteurs qui nous proposent analyses et réflexions sur la question de la fin de l’éducation. Avant d’étudier cet abandon, essayons de définir ce qu’il peut nous apprendre.

La liberté par essence ne se définit pas, soutient-on parfois. S’il était possible de proposer une détermination indiscutable de la liberté alors qu’en serait-il de notre propre liberté, celle-ci devrait se soumettre aux règles fixées par la définition imposée or être soumis n’est-ce pas être contraint et ne pas être libre ? Certains peuvent être tentés de souscrire à une telle analyse. Ils peuvent, sans le savoir, conforter le silence actuel qui règne sur les fins de l’éducation à partir d‘un tel raisonnement.

Ils espèrent peut-être ainsi que ce vide pourrait être un moyen permettant à chacun d’épanouir en ce lieu la plus complète liberté de l’adulte et de l’enfant. L’école serait ainsi réellement ce que son étymologie lui demande d’être : l’espace de la « skolé » et du loisir. Mais une telle proposition ne peut prospérer. Elle semble quelque peu « paresseuse » malgré les séductions indéniables qu’elle nous offre car d’une part, une liberté complète est impossible en ce domaine. Il importe bien que certaines contraintes soient posées afin de sélectionner les élèves, les juger à partir de critères objectifs - d’où les programmes - ; d’autre part, si la détermination enchaîne parfois l’indétermination pénalise souvent. Il est difficile en effet de dessiner une « liberté en acte » si nous ne possédons pas « en puissance » un modèle nous permettant d’évaluer notre degré de liberté et  qui nous orienterait sur les mesures à prendre pour étendre celle-ci si nous la considérons comme un bienfait.    

D’aucuns favorisent peut-être donc le silence téléologique actuel pour mettre en exergue un certain libéralisme scolaire. Mais nous savons que si le droit n’est pas le juste, la liberté n’est pas nécessairement l’absence de lois. La loi en elle-même ne contraint pas c’est la loi liberticide seule qui emprisonne. Le silence en matière de fins éducatives n’est donc pas nécessairement propice à la liberté. Celle-ci serait mieux servie si nous parvenions à trouver des fins à l’école qui seraient acceptées par tous et qui ainsi favoriseraient cette liberté recherchée. Celui qui fuit un problème en a parfois terriblement peur dès lors, devons-nous considérer que le silence actuel en ce domaine plus qu’une force serait l’aveu d’une faiblesse  ?

Il serait tentant de penser de la sorte. Notre société est divisée. Elle n’est guère semblable à cette heureuse cité grecque idéalisée par les premiers philosophes et qui serait œuvre d’un habile législateur, orfèvre et tisserand, soucieux du bien-être de chacun et de l’unité du tout. L’école n’est en elle-même qu’un produit de ce système et les désaccords à son sujet masquent parfois des ruptures sociales profondes.

Ne pas « oser » exprimer clairement son point de vue en ce domaine revient parfois à refuser de heurter les différentes sensibilités, de ranimer de vieilles querelles. Cependant, la querelle ne s’efface pas par le silence. Le taire étouffe pour un moment les malaises mais ils finissent un jour où l’autre par émerger. Si le silence ou les désaccords actuels visent à la paix sociale, ce n’est guère la favoriser éternellement que de le maintenir. Alors que nous faut-il faire ? 

Le silence actuel n’est que « relatif », cela a été noté. Tous les auteurs n’abandonnent pas pour autant. Récemment, A. Jacquard a fait retour sur ce sujet ( Jacquard, Manent, Renaut 2003) en partant de l’étymologie du terme « éduquer ». Il nous précise qu’il nous faudrait éduquer pour « conduire l’élève hors de lui-même ».

Un tel souci est louable mais il est douteux, selon nous, qu’il puisse constituer une fin possible pour la sphère éducative. Outre, qu’il soit fortement remis en cause par nombre de demandes parentales et des élèves eux-mêmes qui réclament au contraire aux enseignants de les aider à découvrir leur « moi réel », ce projet se heurte à l’objection socratique faîte à Ménon : qui pourrait savoir ce qu’est l’altérité en sa totalité pour prétendre l’enseigner à autrui ? L’altérité, par essence, n’est-elle pas ce qui ne peut se connaître et se transmettre parce que trop « autre »  précisément ?

Mais d’aucuns pourraient trouver notre argumentaire bien réducteur et nous reprocher de ne pas voir dans les généreuses propositions de Mr Jacquard un appel fait à notre système scolaire pour être précisément plus à l’écoute de tout ce qui est « autre », à nous aider à nous ouvrir et nous épanouir.

Si c’est l’ouverture que nos auteurs nous proposent de favoriser par le biais de l’école, pourquoi ne pas ouvertement partir de celle-ci et faire de « l’épanouissement de la classe» un axe de recherche et de propositions propre à ouvrir vers de nouvelles fins possibles pour l’école ?

Mais si c’est d’ouverture dont il s’agit, de quelle ouverture l’école devrait-elle se faire porteuse ? Sur ce point, les projets évoqués plus avant nous semblent assez peu diserts bien que,en filigrane, il paraisse assuré que ces pédagogues de la modernité recherchent à reconstruire cet homme universel et cosmopolite que Kant voulait tout autant produire. Mais le projet final reste vague. Pourrions-nous cependant éviter un tel flou et faire des propositions plus précises en ce domaine ? Rien ne nous interdit de le tenter.

Pour répondre à cette question, sans souci d’exhaustivité, mais simplement pour « ouvrir », rouvrir ou  nourrir le débat, nous pourrions ici faire œuvre de proposition et soumettre un projet téléologique à l’éducation qui serait à la fois modeste et ambitieux, utopie et réaliste. Modeste/réaliste en ce qu’il chercherait continuellement à placer l’adulte et l’enfant au cœur de ce système, ambitieux/utopique en ce qu’il chercherait en eux à mettre en exergue ce qui est le plus élevé, non le plus humble. Ce faisant, l’école deviendrait ainsi un « espace »d’accueil ayant trois soucis conjoints  :

En premier lieu, l’école pourrait être un espace relationnel . En d’autres termes, si le travail est (aussi) pour l’adulte un lieu lui permettant d’exister socialement,de se faire des amis, de favoriser des rencontres. Pourquoi dès lors ne pas développer cette capacité à l’école et pourquoi ne pas ouvertement faire de celle-ci un lieu de convivialité permettant la rencontre inter-générationnelle et intra-générationnelle ?

Pourquoi ne pas permettre à l’école de constituer un espace permettant à de jeunes enfants du même âge de se connaître et de se rencontrer et à des adultes et des enfants de communiquer autour de thèmes neutres et révélateurs des personnalités de chacun ? Si l’école pouvait s’afficher comme ayant un tel projet, pourquoi dès lors ne pas diriger le projet éducatif dans cette direction ? Echanger, rencontrer l’autre ne sont pas en soi des fins méprisables.

Certains pourraient les trouver un peu « faibles » pour former l’armature d’un projet éducatif mais ces contempteurs ne nous expliquent nullement pourquoi ce bonheur de la rencontre n’est pas une fin possible à l’action. L’amitié a, de tous temps, été célébrée par les penseurs de l’antiquité et aider l’enfant ou l’adulte à se créer de nouvelles amitiés reste en soi un projet digne et parfaitement défendable. Mais cependant, l’école ne peut se réduire à n’être qu’un espace de « relations ».

En deuxième lieu, l’école pourrait être un espace de culture et d’information.

Les informations jugées essentielles pour la vie du futur adulte et pour permettre à l’enfant de vivre de manière la plus informée possible son enfance, peuvent y être transmises.

Des réflexions doivent alors être engagées à l’école sur  la famille, la religion, le métier, soi, les autres, la politique, le mal, l’entreprise ; à partir de données concrètes mais aussi de réflexions plus abstraites, assurant un recul.

Il est sans doute dommageable que de telles réflexions ne surgissent qu’en terminale en classe de philosophie. Il serait, selon nous, judicieux qu’elles surviennent plus tôt et au moins dès la classe de seconde et que cet enseignement soit délivré par des personnes ayant une certaine pratique de la vie, qui ne seraient pas nécessairement des « philosophes professionnels » mais auraient quelques informations de « bon sens » et « dument informées »  à transmettre aux enfants. Pourquoi ne pas envisager une élection de ces « sages » par la ville où se trouve le lycée ou l’école par exemple ? Cette question mérite débat. Cependant, il est regrettable que la question démocratique présente en de si nombreux points de notre vie soit aussi désespérément absente lorsqu’il s’agit de choisir certains enseignants.

Enseigner c’est apprendre, nous rappelait Augustin. L’école, Arendt avait raison de le souligner, ne peut donc être conforme à son projet éducatif si elle étouffe la parole des « élèves les plus doués », si elle brime les professeurs qui disposent d’un vrai savoir à transmettre et qui doivent être sélectionnés à cette fin. Mais ici « savoir » ne doit pas seulement s’entendre comme « savoir » livresque, mais « épistémè » au sens grec du terme : savoir « global » permettant de créer du lien et non de renfermer sur des spécialités qui écartent plus de la vie plus qu’elles ne rapprochent de celle-ci.   


En conséquence et, en dernier lieu, l’école pourrait être un lieu de recherche, de préparation et de propositions.

Elle pourrait devenir un lieu, favorisant de manière prégnante la réflexion de l’enfant sur son devenir, sur ce qu’il sera plus tard et les moyens de devenir non seulement le meilleur professionnel possible, mais également le meilleur parent, frère ou soeur, ami (amie), citoyen (citoyenne) qu’il (elle) pourra être.

En ce domaine, toutes les propositions peuvent être admises et si l’enseignant averti peut proposer quelques pistes de réflexions à ses élèves, il peut sans nul doute lui aussi recueillir des informations précieuses de ceux-ci. Ces informations peuvent ensuite être communiquées au monde adulte environnant qui en serait certainement enrichi. L’élève doit donc être formé à « penser » ce qu’il apprend et apprendre ce qu’il pense.

En conséquence, l’école ne peut relier si elle n’est pas elle-même reliée tant au savoir, qu’à la société dans laquelle elle évolue. Nos sociétés sont actuellement - et qui sait pour combien de temps encore ? - suffisamment riches pour pouvoir payer à des enfants de longues et « coûteuses » études. Il serait donc profitable pour tous que ces moments soient pensés pour permettre des échanges plus fructueux, des relations plus riches, un savoir plus étendu que l’enfant peut parfois - malgré ses maladresses - nous à approfondir et affiner.

Une limite sera nécessairement posé aux trois objectifs ainsi fixés . Cette limite mérite d’être soulignée. Celle-ci implique que chaque information transmise au sein de l’école soit considérée comme discutable, que l’élève ne la tienne pas pour définitivement acquise et qu’il puisse la remettre librement en cause sans être pour autant sanctionné à cet effet.

La proposition téléologique que nous formulons pour l’école permet donc d’éviter les extrêmes évoqués plus avant, que ce soit le cynisme désespéré ou l’idéalisme trop plein d’espoir. En effet, instruire l’enfant en l’aidant à penser sur l’instruction qu’il a reçu n’est pas en soi un objectif insurmontable pour un adulte dûment formé à cet effet. Il lui suffit d’être suffisamment informé sur les thèmes sur lesquels il intervient et au fait de quelques mécanismes susceptibles d’aider à la construction d’une réflexion.

Mais pour  transmettre, des moyens doivent être offerts à l’enseignant. Quels pourraient être ceux de l’école que nous avons esquissée ?   

***
Les moyens envisageables pour réaliser les fins proposées

A quoi bon penser une politique si nous ne nous donnons pas les moyens de la mettre en œuvre ? Réfléchir sur les outils de l’éducateur c’est aussi réfléchir sur l’éducation. Ceux-ci doivent avoir un seul objectif : réaliser les fins que nous nous sommes assigné et donc permettre à l’école de demeurer cet espace de formation, d’information, d’aide à la pensée à la rencontre qu‘elle doit être sans tenir pour définitif le savoir transmis à l’élève.  L’autorité ouverte est l’un de ces moyens.

a) L’autorité ouverte : l’acte d’éduquer, et Kant a raison de le souligner, contient en lui-même le concept de « discipline ». Comment envisager en effet que le professeur (qu’il soit « conducteur », « guide » ou simplement responsable d’un groupe) puisse diriger l’élève s’il n’est pas investi d’un pouvoir lui permettant de coordonner, de rassembler et d’orienter les efforts du groupe ?

Cependant, comme Arendt l’indique (Arendt 1972), l’autorité n’est pas la tyrannie et toute personne en disposant ne saurait l’exercer sans loi en limitant l’usage. Le pouvoir du professeur, tout comme les droits des élèves doivent donc être encadrés par des lois. Or, si limites à l’autorité il importe d’y avoir, celles-ci doivent être pensées en fonction des fins assignées à l’éducateur.

L’autorité n’est qu’un moyen et, comme tel, elle doit être subordonnée aux fins qui sont assignées. En conséquence, lorsque le professeur en use il se doit de le faire afin de faciliter la transmission d’informations essentielles, aider l’élève à les penser en prenant le recul nécessaire, aider ce dernier à vivre en harmonie sa relation à l’école et à ceux qui la composent et donc permettre l’expression des élèves les plus doués en différents domaines afin de nourrir la classe. Il faut en effet éviter que la majorité impose sa dictature en interdisant aux « meilleurs »  de s’exprimer.

Cependant, cette autorité doit être « ouverte » , précisément pour permettre cet échange continuel, ce dialogue que requiert l’enseignement. En conséquence, sachant que les problèmes de discipline ne concernent souvent qu’un tiers des élèves, il importerait que l’usage de l’autorité puisse s’effectuer en liaison avec les différents organes chargés de délivrer des informations sur ces élèves dans l’établissement.

Il est également nécessaire, cela va sans dire, que l’autorité puisse s’exercer à la fois en toute impartialité mais également en tenant compte des histoires personnelles de l’enseignant et de l’enseigné qui influencent nécessairement la relation.

Il importe également de ne pas traiter les questions d’autorité de la même manière selon le lieu et le temps de l’enseignement. Une certaine prise en compte de la contingence semble requise en l’espèce et c’est ici que l’usage de l’autorité ne peut être seulement l’objet de théorisation mais implique un « savoir-faire » difficilement transmissible par celui qui aurait le bonheur de le posséder. « Ouvrir » son acte d’autorité consiste donc tout autant à s’ouvrir à l’universel qu’à la singularité de la situation du « jugé », à celle du « juge » et aux exigences du temps et de l’espace du jugement qui se jaugent et s‘apprécient différemment.

De plus, l’usage de la discipline n’est qu’un outil à la disposition de l’enseignant. Augustin a raison de rappeler dans son « De Magistro », qu’enseigner c’est « faire signe ». Or le signe est pluriel en ce  sens qu’il est pensé pour s’adapter aux différentes situations d’enseignement et aux natures singulières des enseignés.

L’autorité ne doit donc être utilisée qu’afin de « faire signe » à certains élèves et au groupe en son ensemble. Ceux-ci doivent être sensibles à ce vecteur de communication et si l‘autorité- au moment où elle est utilisée - risque de rompre le dialogue au lieu de l‘autoriser il vaut mieux- pour un temps - surseoir à son application. Il est, en effet, pour chaque situation, un signe qui convient. Savoir enseigner ou communiquer c’est être en mesure de choisir le signe adapté à la situation et à celui à qui l‘on désire parler. Celui-ci pourra, par exemple, être plus sensible à l‘image, au geste, à la parole, etc… qu’à l’autorité. Il importera d’en tenir compte avant d’en user.

En revanche, curieusement et la psychanalyse nous l’a enseigné : il est des êtres (ou des situations) qui réclament ce message fort que l’autorité permet de transmettre. L’autorité devient pour eux une nécessité, sans doute parcequ’ils sont devenus sourds à tous les autres signes .

Destinée à des élèves exceptionnels et à des situations particulières, l’autorité elle-même ne sera ouverte que si elle reste une mesure d’exception ou à tout le moins une mesure pensée. Elle doit n’être utilisée que lorsque les autres modes de communication avec l’élève ont échoué et lorsque nous avons acquis une certaine certitude, voire une intuition de son utilité. En conséquence, l’ensemble des conseils de la « pédagogie moderne » ne doit donc pas être rejeté sous prétexte de sa modernité ou de sa « nouveauté ».

Ces conseils constituent,en effet, pour le philosophe et l’enseignant un outil précieux permettant de le nourrir en réflexions empiriques tout à fait instructives sur le sujet. L’école, en tant que « mini-université » pourrait justement en ce domaine, favoriser les rencontres, susciter des échanges entre professeurs et entre établissements. Des échanges d’expériences pourraient être proposées et certaines tentées avec les élèves avec l’aide des universités.

Mais l’ouverture de cette autorité doit essentiellement concerner les élèves. En effet, elle doit toujours leur laisser une place afin de leur permettre une discussion sur les informations, les méthodes proposées par le professeur afin de poursuivre le travail de formation par l’échange que requiert l’école. Cette autorité ne doit cependant pas être le seul moyen mis à la disposition de l’enseignant. Elle n’est qu’une partie infime de ceux-ci.  Mieux, il est dangereux de lui accorder une place trop importante en ces temps d‘autoritarisme trop prononcé. Penser l’éducation n’est pas seulement évoquer la « discipline »  mais c’est également réfléchir sur tous les aspects de la questions éducative et notamment celle de la sélection et de la formation adaptées des futurs enseignants.

b) La formation et la sélection adaptées. Lorsque nous prenons connaissance de la littérature quasi-contemporaine sur la question de la sélection ou de la formation des enseignants, deux  positions se distinguent : les thèses d’Arendt et celles de Piaget.

Arendt, nous le savons (Arendt 1972), reproche essentiellement aux méthodes d’éducation « modernes » de négliger le savoir au bénéfice du faire. Elle considère que ces méthodes ont eu pour effet de maintenir l’enfant dans un monde séparé de celui des adultes et de permettre à une majorité d’imposer sa loi aux enseignants et aux plus doués du groupe.

La situation créée par cette pédagogie est telle, nous indique-t-elle de manière polémique, qu’aux Etats-Unis, nous sommes finalement parvenus à un système dans lequel les élèves en savent plus que leur professeur.

Ce refus de la « discipline » à tous les sens du terme est la preuve,selon elle, d’une démission des adultes et d’un refus de ces derniers d’assumer, en sa totalité, le monde qu’ils lèguent à leurs enfants. Elle propose semble-t-il de manière sous jacente, une sélection des enseignants en fonction de connaissances plus conséquentes dans les spécialités qu’ils enseignent. Arendt, en d’autres termes, appelle de ses vœux des enseignants spécialisés dans une matière.

Piaget, pour sa part, expose une théorie à l’exact opposé des thèses d’Arendt. Selon lui, nos systèmes éducatifs sont « dépassés »(Piaget 1972). Ils privilégient beaucoup trop la « transmission » du savoir par le professeur plutôt que son acquisition par l’élève. Les professeurs seraient, selon lui, devenus « hyper-spécialistes » sans aucune qualité pédagogique. Or pour notre auteur, l’enseignant modèle cherche plus à permettre à l’enfant de « reconstruire par lui-même la leçon plutôt que de l’écouter ». Notre auteur écrit ainsi : « comprendre c’est inventer ou reconstruire par réivention »( Piaget 1972). 

Alors qu’Arendt critique la domination de la psychologie et le savoir « généraliste »,Piaget entend remettre en cause « les privilèges abusifs de la philosophie » ainsi qu’une sélection des enseignants semblable à celle de l’agrégation qui formerait, selon lui, des spécialistes déconnectés des réalités des enseignés et de l’enseignement.

Bien que la critique des modes de sélection et de formation des enseignants ne soit pas nouvelle, ces deux thèses nous incitent à nous pencher à nouveau sur le sujet en ce qu’il est lié à la question d’une éducation adaptée. Mais comment trouver un mode de sélection qui permettrait de satisfaire à ce souci d’utopie « possible » que nous proposons de mettre en place ? Pour tenter d’y parvenir, une critique des deux thèses en présence nous paraît devoir s’imposer.

A la charge de Piaget, il importe de noter que son « attaque » contre le « privilège » de la philosophie est peu convaincante. En effet, les thèses qu’il développe sont elles-mêmes fortement inspirées des philosophes et, en lisant ce dernier, nous avons le sentiment de relire (avec certes des idées nouvelles sur le même thème) le Rousseau de « l’émile » ou Alain en ses « Propos sur l’éducation » qui écrivait notamment : « les travaux d'écolier sont des épreuves pour le caractère, et non point pour l'intelligence.…. » et qui rappelait «  Les cours magistraux sont temps perdu. Les notes prises ne servent jamais…. »

Le souhait de Piaget de former un élève cosmopolite ne parait guère éloigné du projet kantien et son appel à aider l’élève à penser est on ne peut plus « philosophique » en son essence même. La philosophie critiquée constitue donc, pour une grande part, l’un des socles de sa pensée. Piaget ne saurait nier que les philosophes ont permis le développement de son œuvre.

A la charge également du même Piaget, nous pourrions en effet reprocher, comme le rappelait  Alain Renaut (Renaut 2004), aux théories du « talent et de l’inventivité nécessaire du professeur » face à une classe nécessairement de bonne foi, une certaine tendance à culpabiliser le professeur qui ne parviendrait pas à créer ce fameux lien avec les élèves  et « a contrario » une trop grande « naïveté »  sur la « candeur» absolue et supposée de l‘enfance que le discours freudien lui-même a pourtant avec brio remis en cause et, avant lui, des auteurs comme Saint Augustin.

La philosophie que Piaget attaque est, en effet, en elle-même, le lieu de cette réflexion sur les principes et sur les fins. Si la philosophie est prééminente c’est parce que « le pourquoi des choses », qu’elle recherche, est primordial. Son objet fait d’elle la « science première » parce qu’il est lui-même premier.

Réduire le rôle que la philosophie doit jouer en matière d’enseignement serait donc une erreur. Au contraire, la philosophie doit redevenir première car celle-ci est la pensée des fins et des pourquoi. Or d’une part, toute action et pensée, quelle qu’elle soit est aveugle si elle n’a pas en priorité réfléchi sur ses causes. Or quelle est l’efficacité et la force d’une action qui ne sait pourquoi elle agit ?
D’autre part, en l’espèce, l’absence de réponses unanimement acceptées sur le sujet des fins de l‘éducation, voire l’insuffisance de débats plus ouverts et publics sur le sujet est facteur aggravant de la crise. En conséquence, pour réduire les effets de celle-ci, il ne faut pas réduire la place de la philosophie.

Une formation des enseignants qui seraient adaptée doit donc remettre en bonne place la réflexion philosophique sur l’enfance et sur l’enseignement. Cependant, si la philosophie doit être première, elle ne doit pas pour autant ignorer les autres savoirs mais les coordonner, les synthétiser et s’en nourrir pour les interroger. 

En conséquence, le bon enseignant doit,selon nous, non seulement être recruté en fonction de ses réflexions philosophiques et de ses connaissances dans son domaine d’exercice, mais il ne doit pas négliger le savoir technique pédagogique qui a été accumulé au cours des dernières années, sur la base de la psychologie et de la sociologie.

Le futur enseignant se doit donc d’être « ouvert » à sa spécialité mais également au philosophique pour partie première et à la pédagogie pour l’aide à la mise en œuvre de moyens adaptés à ces fins.

Cependant, l’ouverture ne doit pas être « béate » et nul ne se doit de tenir pour commandement toutes les conclusions de ces travaux, qu’ils soient philosophiques ou pédagogiques. Ceux-ci, telle la fameuse remarque de Freud sur l’inconscient, ne doivent être considérés que comme des hypothèses dont il est libre à chacun de juger la légitimité et la nécessité. Ils sont eux-mêmes susceptibles de réfutations.

Ainsi, l’enseignant doit être ouvert à toutes « méthodes actives », comme le précise Piaget, et qui accordent « de l’importance aux tâtonnements des élèves… ». La sélection et la formation de ce dernier doit permettre de trouver et de faire fructifier en lui un goût pour les « multiples interconnexions qui existent entre les savoirs. » et une ouverture à l’autre, à la polyvalence, à la complexité du réel.

En conséquence, ayant possession de son savoir spécialisé, l’enseignant peut également savoir faire preuve d’une approche globale des questions, disposer de l’expérience la plus riche possible, être lui-même ouvert au monde, avoir peut-être exercé plusieurs métiers, eu plusieurs expériences autres que celles de l’enseignement, avoir une vraie ouverture sur l’international voire sur d‘autres mondes que celui de sa seule discipline. L’expérience ou le savoir pratique ne sont pas à négliger. Ils permettent de relier l’intelligence au « réel » et de permettre à l’enseigné de créer plus de lien avec ce « monde adulte » vers lequel il va se diriger.  Piaget aura donc, selon nous, raison sur ce point.

Ce dernier demande également de privilégier beaucoup plus les universités. Il souhaite un enseignant global et des liens plus soutenus entre recherche et enseignement. Nul ne peut sur ce second point le contredire. Une société qui ne favorise pas le savoir supérieur axé sur la recherche et qui préfère privilégier le savoir « pragmatique » finit tôt ou tard par devenir aveugle. Ce sont la recherche et la pensée en effet qui ouvrent les esprits, les lumières nous l’ont enseigné mais nous l’avons oublié car nous avons privilégié le pouvoir contre le savoir.

La crise de l’éducation trouve également son origine dans ce privilège là car dans le même temps, de plus en plus , ce même pouvoir se décharge sur le « savoir » en lui reprochant de mal former les élèves et de  ne pas proposer de solutions.

En conséquence, la réflexion sur l’enseignement ne peut faire l’impasse d’une réflexion sur la formation et la sélection des enseignants. Celle-ci doit à la fois concilier le savoir « spécialisé» afin d’accroître l’autorité du professeur et permettre la diffusion d’un savoir réel et adapté, le « savoir » fondé en expérience afin de permettre à l’enfant de se trouver en présence de personnes qui « savent de quoi elles parlent », mais aussi peut-être de personnes disposant d’un savoir qui ne serait pas seulement limité à leur seule science. Pour parvenir à cette « conciliation », un retour sur la philosophie qui pourrait inspirer le choix des enseignants s’impose sans doute.   

c) La philosophie de la sélection des futurs enseignants et de la hiérarchisation du corps d’enseignement.

Penser philosophiquement l’éducation en tant que relation première que l’adulte noue avec l’enfant implique, selon nous, qu’une réflexion sans fard soit opérée sur la question de la philosophie qui inspire la sélection des enseignants et l’organisation hiérarchique du corps pédagogique. Sur quels critères devons-nous choisir nos enseignants et comment déterminer l’ordre hiérarchique des fonctions et des grades à l’intérieur du groupe des pédagogues ?

Une telle question est essentielle ici car savoir pourquoi tel enseignant est honoré plutôt qu’un autre, expliquer pourquoi telle personne sera jugée plus apte qu’une autre à enseigner est le signe que l’institution adresse vers l’extérieur et ce signe en lui-même ne pourra que la renforcer si celui-ci est en conformité avec les fins que le système poursuit et si celui-ci s’accorde avec la société à l’intérieur de laquelle elle évolue. En d’autres termes,éduquer dans le lien c’est éduquer en mettant ses actions en accords avec ce que l’on prétend transmettre.   

Parler de l’autorité est un point important mais l’éducation en son ensemble perdra son autorité et ne pourra permettre à ses représentants d’en user si ses modes de sélection ne sont pas légitimés par une pensée cohérente sur le sujet.

Cette question philosophique ne peut être pensée indépendamment du problème du « souverain bien ». Déterminer ce que doit être un enseignant et savoir comment hiérarchiser les carrières à l’intérieur de ce corps implique avoir fait un choix préalable sur le sujet.

En ce domaine, trois grands types peuvent selon nous être dégagés : l’éudémoniste qui place le bonheur au-dessus de tous les autres biens et l’idéaliste qui considère que la recherche des essences
importe plus que toutes les autres. Entre les deux une conception intermédiaire placerait le juste au centre de nos préoccupations en ce que sans justice une société ne peut ni être heureuse, ni mettre en œuvre un savoir bénéfique. Si nous pouvions faire un parallèle avec nos organes, l’éudémoniste serait centré sur l’estomac- s’il est proche des cyrénaïques -, l’idéaliste de la tête et le juste du cœur.

Quelle option choisir entre ces trois systèmes ou organes ? La réponse, selon nous, ne fait aucun doute : celui qui permet de satisfaire aux fins que nous avons fixés pour l’école et en général tout modèle qui permet de promouvoir la démocratie « réelle » au détriment de tous les autres modèles. Mais lequel de ces biens que sont le bonheur, le savoir ou la justice est-il le plus adapté à la fin poursuivie ?

Avant de répondre à cette question, essayons de nous interroger sur la philosophie qui inspire précisément notre système de sélection en France aujourd’hui.

Les enseignants sont, pour l’essentiel, recruté sur un modèle de concours qui privilégie un savoir spécialisé. Cependant, ce modèle est « quelque peu » atténué par un mécanisme qui permet à des professionnels non titulaires de pouvoir accéder à certaines tâches pédagogiques eu égard à leur expérience d‘enseignants.

Cette « ouverture » reste cependant, chacun le sait, fort relative car les postes prestigieux en recherche ou à l’université sont rarement offerts à des personnes ayant ce « profil » et la sélection des enseignants sur concours interne s‘opère essentiellement sur des critères de connaissances spécialisées.

En conséquence, la sélection s’opérant dès le plus jeune âge, notre système favorise essentiellement un savoir « inné » sur un « savoir » acquis. En d’autres termes, certains étant réputés plus aptes à connaître, à être savants, sont sélectionnés le plus tôt possible pour permettre ensuite de transmettre le savoir aux autres. Les connaissances théorétiques sont donc fortement valorisées au détriment de toutes les autres formes de connaissance alors paradoxalement que la recherche et la pensée n’ont jamais été autant coupées des autres sphères de la société.

Ce paradoxe doit nous faire réfléchir mais un tel modèle doit-il être aussi fortement critiqué que Piaget -ou Bourdieu en son temps - se sont autorisés à le faire ?

Notre but étant de permettre à l’école d’ouvrir l’élève à lui-même, aux autres et au savoir, puis à penser sur ce savoir, rien n’interdit de considérer que seuls quelques « élus » pourraient être en mesure de posséder les outils nécessaires pour ainsi permettre à leur prochain de s’ouvrir vers l’autre et à eux-mêmes. La pensée exige une « mise à l’écart » et un retrait. Mais ce retrait se doit-il d’être « total » ? Comment parvenir à une solution adaptée en ce domaine ?

L’éducation doit se préoccuper de savoir et non de pouvoir. La philosophie, si elle cherche l’idéal, pense que le savoir détermine le pouvoir et non l’inverse. Certes, cet « idéal » a rarement été réalisé cependant, nous l’avons indiqué, notre dessein est également de nous positionner dans une logique de « démocratie réelle ». Or, nous le savons, la démocratie des pensées qu’implique la démocratie « réelle », ne place nullement certaines idées au sommet de toutes les autres, exception faite de celles qui interdisent que l’on porte gravement atteinte à son bon fonctionnement.

Le fait que l’intelligence soit le fait de quelques élus est en soi une vérité tout à fait acceptable et digne. Cependant, une telle affirmation n’est pas certaine. L’empirisme n’a jamais été réfuté sur ce point. Il inspire d’ailleurs une bonne part de notre épistémologie contemporaine et, en conséquence, nous pourrions également envisager un mode de sélection qui mettrait en évidence cette philosophie au détriment des autres. En d’autres termes, l’intelligence pratique et l’expérience ne sont pas plus à négliger que l’intelligence « théorique ».

Les postes d’enseignants seraient ainsi offerts à ceux qui bénéficieraient d’une expérience ou d’un savoir pratique non négligeables dans le domaine d’activité dans lequel ils enseignent et qui auraient une « expérience » de la vie qu’ils pourraient transmettre à nos enfants qu‘ils soient d‘ailleurs issus du « privé »  ou du « public» . Rien aujourd’hui ne permet d’expliquer les différences qui subsistent ici entre ces deux pôles de notre activité.

Ce système d’une sélection empirique ou « pluridisciplinaire » des enseignants aurait peut-être les faveurs de Piaget. Cependant, il n’est guère plus indiscutable que le précédent car l’empirisme n’est en lui-même nullement une vérité absolue. Les adeptes de l’idéalisme pourraient le remettre en question. Selon eux, le savant ne se construit peut-être jamais par l’expérience, seule une « élection » déciderait du savoir et du non-savoir. Il est difficile de les contester tout à fait sur ce point. Pourtant, il est également périlleux de nier que l’expérience, l’ouverture d’esprit, jouent un rôle essentiel dans la formation du savoir. Alors comment nous déterminer ?

Si le souverain bien dans une classe est le savoir, mais également s’il est le bonheur ou la justice, rien ne permet d’opter pour une thèse au détriment d’une autre. En effet qu’est-ce qui nous garantit qu’un savoir spécialisé ou au contraire fondé sur l’expérience serait de nature à favoriser l’un plutôt que l’autre ?

La justice n’impliquant pas l’égalité mais exigeant l’impartialité, nulle thèse (élection ou formation par la vie) ne devrait être favorisée. L’hyper-spécialisation, ou la pluriformation,voire la bi-valence sont toutes aussi acceptables les unes que les autres car les unes et les autres reposent sur des épistémologies à la fois incontestables et discutables cependant.

En conséquence, la philosophie idéale qui devrait inspirer notre système de sélection et de formation des enseignants devrait tout autant favoriser une certaine expérience de la vie, qu’une sélection de quelques éléments de qualité, retirés le plus tôt possible du « groupe » afin de pouvoir s’épanouir en toute tranquillité, que la spécialisation à outrance ou la bi-valence.

Platon, dans « les lois » souligne d’ailleurs ce point. Les magistrats ou « archontes » qu’il propose de désigner dans sa cité « idéale » se doivent selon lui d’être choisis soit en vertu d’un savoir théorique, soit à partir d’un savoir pratique. L’intelligence est sans doute ce qui permet de relier l’un et l’autre. Un projet d’éducation qui favoriserait le lien doit donc penser à opérer une sélection qui permettrait de manière équilibré de choisir les enseignants ou de fixer des hiérarchies dans ce corps en fonction soit de l’expérience, soit du savoir théorique. L’élection ou l’attitude face à la vie ( l’expérience) peuvent toutes deux, de manière égale, être au cœur d’une philosophie du choix de l’enseignant . 

En optant pour cette égalité, notre système éducatif gagnerait en cohérence et les élèves eux-mêmes auraient la certitude non seulement que « tout ne se joue pas dès les premières années » ( et ce avec les inégalités sociales, culturelles qu’un tel « slogan » implique) mais qu’au contraire, une « seconde chance » reste toujours possible, voire que l’expérience acquise n’est pas toujours vaine et sans objet. Ils pourraient peut-être de temps à autre bénéficier de cette possibilité de comprendre en « croisant les savoirs ».    

Un tel choix aurait d’ailleurs pour effet de rendre plus cohérent la démarche pédagogique elle-même qui d’une part, trouve sa légitimité dans le fait qu’elle permet à des « adultes » (supposés avoir une expérience plus conséquente que les enfants) de transmettre un savoir du fait de leur âge et d‘autre part, permet à ceux qui « savent » d’informer ceux qui ne savent pas.

Le fait que cette stricte et juste équivalence entre les deux types de sélection, les deux formes d’intelligence (théorique ou pratique) n’existe pas aujourd’hui en matière de sélection des enseignants laisse donc perplexe. Cette ignorance est liée sans doute au mépris que nous avons pour l’éducation et l’épanouissement des adultes en tant que parents des enfants enseignés. Or peut-on penser l’éducation sans penser précisément à cet adulte et à son épanouissement ?

d) La formation et l’aide à l’épanouissement des adultes : nul ne peut et ne doit penser l’éducation sans penser également aux adultes. Nul ne saurait, selon nous, penser l’autorité à l’école s’il ne pense pas conjointement la question de la vie des parents de ceux qui seront sanctionnés ou « autoritarisés » ou de ceux-mêmes qui seront « élus» dés le plus jeune âge. Penser l’autorité sans épanouissement de l’autre reviendrait à nier l’autorité elle-même.

En effet, à quoi servirait de « donner des leçons » à un enfant ou de le sélectionner dés son jeune âge si rentré chez lui, il se trouve face à des parents déprimés, non reconnus, vivants des situations d’injustice et si surtout ces mêmes parents ne sont pas aidés pour « comprendre » leurs nouveaux enfants éduqués ou si ces mêmes parents ne sont pas aidés pour trouver une place reconnue dans la société ?

Si l’école pour tous et pour les adultes est un slogan qui fait peur et n’est d’ailleurs sans doute par une nécessité, il faut peut-être développer des logiques de seconde chance, elles-mêmes liées à cette question de l’expérience reconnue en milieu universitaire et enseignant, voire aider les parents de ces « jeunes » doués ou non à trouver une reconnaissance sociale, soit par le biais de telle action associative, ou communautaire, soit par le canal d’une action commerciale ou artisanale elle-même remise à la juste et digne place qu’elle mérite.

La réflexion sur l’éducation,ainsi que celle sur l’enfance ne peuvent donc être tout à fait découplée d’une réflexion sur les adultes et plus particulièrement sur les communautés et sur les métiers. En effet,  l’ « enfant difficile », le « jeune » (comme le disent les médias) , mais aussi l’enfant favorisé intellectuellement ou culturellement ne doit pas être isolé de ses parents. S’il s’agit de penser son épanouissement jusqu’au bout, celui-ci ne peut s’opérer sans une prise en compte du sort des adultes qui lui sont proches.

En conséquence, toute réflexion sur le sujet éducatif impose également des réflexions sur la question communautaire, sur notre relation aux métiers et aux adultes en général dans notre monde. Si en effet, l’enfant « minoritaire » ou non est élevé au-dessus de tous les autres il sera alors de fait  « coupé » des siens et s’il n’a aucun  moyen de les aider, il sera alors isolé et malheureux et ce malheur finira par rejaillir sur la société toute entière sans pouvoir créer en lui les motivations nécessaires pour lui donner le désir de se battre pour elle.

En conclusion, penser les moyens de l’éducation implique donc de penser ceux-ci comme un tout et effectivement de manière philosophique. Il est donc nécessaire que la philosophie, contrairement à ce que souhaitait Piaget, retrouve la place qu’elle a perdue en matière d’éducation : la première. Mais à la décharge de Piaget, il faut également que la philosophie redevienne cette science de la globalité qu’elle a cessée d’être et qu‘elle accepte de faire fi de certaines craintes pour aborder de front certaines questions de notre modernité.

Pour ce faire, des réformes seront sans doute nécessaires. Elles ne seront sans doute pas suffisantes,  si la philosophie elle-même ne réaffirme pas le lien qu’il importe de penser et créer entre toutes les réformes politiques, éducatives et éthiques : réformes qui doivent si possibles nous aider à réfléchir de manière plus globale sur le rôle de l’enfant dans nos sociétés, la place que nous entendons réserver à la famille, la question au sens large de la justice sociale, du travail, des associations, du communautarisme et de la nature du droit.

Pensées éminemment philosophiques qui démontrent, si besoin en était, que la philosophie de l’éducation ou la science de l’éducation est bien une « branche » de la philosophie, mais une branche dont il ne faut pas oublier le lien avec le grand arbre de toutes les pensées et de toutes les réformes visant au vrai et au juste.

Reste à savoir ce qu’est la vérité et s’il faut toujours la dire et en tout moment. Nous avons choisi ici de délivrer celle que nous pensions être telle en ce domaine. Il y aurait encore beaucoup à dire sur un tel sujet, approfondir les débats, confronter des analyses, créer des zones de discussions plus ouvertes entre les tenants de logiques « minoritaires » et professeurs eux-mêmes ayant subi un « cursus » spécialisé et donc différent des nôtres.

Nos idées sont toujours influencées par nos représentations. Nous le savons depuis Hume et Kant au moins. Cependant, si le vrai absolu existe et s’il est fait pour être découvert,cette découverte ne pourra se faire qu’en croisant ces représentations diverses qui doivent s’exprimer et qui parviennent parfois - exceptionnellement- à s’accorder lorsque le désir d’être juste s’harmonise avec nos actes et que les actes justes sont favorisés par des institutions adéquates. 

Jean-Jacques SARFATI
Professeur de Philosophie Lycée Picasso. Fontenay/bois
Juriste et ancien avocat à la Cour d’Appel de Paris. 



BIBLIOGRAPHIE

Ÿ    Ouvrages ou articles de fond
Alain « Propos sur l’éducation ». Puf 1962
P. Ariès « L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime ». Seuil 1971
Augustin « De Magistro ». Klincksiek 2002 Trad B Jolibert
H. Arendt « La crise de la culture ». Trad P Levy. Gallimard 1972
A. Boyer « Du monde perdu à l’homme enfin moderne », Esprit , 11, Nov. 2002.
                « Le républicanisme, ou ne pas avoir de maître », Commentaire, n° 108, Hiver 2004.
J. Dewey « Démocratie et éducation ». Trad. G Deledalle. A colin. 1975
Erasme « De Pueris. De l’éducation des enfants ». Trad P Saliat. Klinsieck. 1990
E. Kant « Reflexions  sur l’éducation » Trad A Philonenko. Vrin 1993
J .Locke « Quelques pensées sur l’éducation ». Trad G Compayré  Vrin 1992
H. I Marrou « Saint Augustin et l’augustinisme ». Ed Maîtres spirituels. 1955
J. Piaget « Pédagogie ». O Jabob 1998
J .Piaget «  Ou va l’éducation ? » Denoël/Gonthier 1972
A. Renaut « La libération des enfants ». Hachette littérature. 2002
                  « La fin de l’autorité ». Flammarion 2004
A. Renaut. P Manent. A Jacquard « Une éducation sans autorité ni sanction ? » Grasset. 2003
JJ .Rousseau « Emile ou de l’éducation ». GF 1966 Présentation M Launay
JJ Sarfati « Foucault, archéologue malgré lui du lien élu, exclu » la célibataire été 2004

Ÿ    Témoignages
W. Reymond « Paroles de profs ». Flammarion. 1999
P. Milner « A bas les élèves ». Albin Michel. 1999
T. Desjardin « Le scandale de l’éducation nationale ». R Laffont.1999

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24 octobre 2006

QUEL LANGAGE POUR L ENSEIGNEMENT A PARTIR D UNE ETUDE DU DE MAGISTRO D AUGUSTIN




LANGAGE ET ENSEIGNEMENT CHEZ AUGUSTIN A TRAVERS UNE ETUDE COMMENTEE DU DE MAGISTRO

Introduction

Tout enseignant a besoin d’une langue pour enseigner ; cependant, bien souvent, le moyen devient fin et nous bavardons plus que nous enseignons. Mais la langue elle-même peut-elle éviter de nous porter au « bavardage » et si non, comment enseigner sans bavarder ?

Enseigner semble impliquer le passage d’une idée, d’une pensée vers une autre. Mais la langue est-elle adaptée pour opérer ce transfert ?
Trois éléments permettent de douter de cette affirmation :
- la langue est souvent trop imprécise. Elle est sujette à mésinterprétation ou provoque des surinterprétations qui rendent difficile toute transmission de message ;
- de plus, nous ignorons si la correspondance exacte du langage et de la pensée est envisageable et si les mots sont adaptés à la signification de toutes les choses ;
- enfin, la langue n’est pas une mais plurielle. Chacun ne donne pas aux mots la même signification selon sa culture ou son niveau d’éducation.

Ces obstacles mettent donc en doute la possibilité même d’un enseignement par la langue. Pourtant nous savons que cette langue est nécessaire pour enseigner. Dès lors, une problématique s’impose : peut-on dire qu’il existe un langage de l’enseignement, et dans l’affirmative, quel pourrait être ce langage ?

Nous avons choisi de tenter d’apporter une réponse à cette question en proposant un commentaire du De Magistro.

Avant de présenter ledit commentaire, quelques mots s’imposent sur la méthode choisie. Il peut paraître étrange de vouloir ainsi répondre à une problématique à partir d’un texte. Ne risque-t-on pas de transformer celui-ci en moyen et d’oublier sa fin ? L’interprétation ne risque –t-elle pas de se faire trahison et d’être absorbée par le projet initial ? Il importe d’indiquer que notre dessein ici n’est pas d’ignorer la fin poursuivie par Augustin dans ce texte ; nous chercherons simplement à conjoindre celle-ci avec celle proposée afin que l‘une puisse – si cela est possible – éclairer l’autre.

Cette interprétation d’un père de l’Eglise ne risque-t-elle pas d’en oublier les vérités théologiques que ce dernier transmet ? Comme l’indiquait J.-C. Fraisse (1), il y a deux manières d’interpréter Augustin : soit comme un auteur de tradition platonicienne renouvelée par le christianisme, soit comme un penseur à la recherche de lui-même. Notre propos n’est pas ici de nous aligner sur telle ou telle interprétation mais de lire cet auteur au regard de notre problématique sans exclure aucune hypothèse herméneutique.

Pour tenter de concilier les points de vue, nous avons donc tenté d’effectuer trois lectures de ce texte :
- tout d’abord, nous interprèterons ce texte en considérant la fin poursuivie par Augustin comme première et comme commandant l’ensemble de l’œuvre (Partie I) ;
- cependant, cette lecture ayant le démérite - entre autres et selon nous – d’oublier que pour Augustin la fin était présence constante, nous avons proposé une lecture de l’œuvre en considérant cette fin comme présence constante éclairant la totalité du développement (Partie II) ;
- mais cette lecture elle-même risquant de conduire à des confusions de deux ordres qu’il importait cependant de distinguer, nous avons tenté de faire retour vers les fondements de l’oeuvre pour comprendre la fin à partir de ceux-ci et, avec eux, la fin de notre propre démarche. (Partie III).

Ces trois lectures sont différentes. Elles nous paraissent toutes acceptables car Augustin est un auteur complexe qui peut susciter des interprétations multiples. Souvenons-nous de ce qu’il écrivait à propos de l’interprétation de la Bible, qui était son modèle : « lorsque qu’une foule de pensées également vraies peuvent être tirées de ces paroles, quelle folie d’affirmer que Moïse a eu telle pensée plutôt que telle autre et de blesser par nos disputes pernicieuses cette charité en vue de quoi il a écrit toutes les paroles que nous cherchons à expliquer » (Confessions, XII-24).

Elles seront cependant unifiées par notre problématique initiale. Lorsque tout s’oppose en effet, l‘axe premier de la recherche personnelle peut parfois faire œuvre de conjonction.

I. - Le DE MAGISTRO lu au regard de sa fin

Le De Magistro, dans sa composition, se présente comme un dialogue entre Augustin et son fils Adéodat. Pour Mr. Madec (2), l’œuvre doit être lue au regard de sa fin – entendue sous tous les sens du terme – à savoir l’exposé de la doctrine du Maître intérieur.

Une telle lecture est digne de retenir toute notre attention. En effet, comme le rappelle A. Michel (3), Augustin peut être considéré comme ayant été à l’origine de la conversion de toute la culture antique. Or convertir, c’est hiérarchiser et donc remettre « chaque chose à la place qui lui revient ». On peut donc effectivement considérer que le De Magistro poursuit ce projet d’une remise en place et d’exposition d’un ordre qui ne peut être ignoré. Il importe donc de rappeler cet ordre préalablement et de présenter cette lecture pour indiquer ce qu’elle nous révèle relativement à notre problématique initiale.

A. - La Lecture bi-partite impliquée par la lecture de Mr. Madec

Pour Mr. Madec, le texte comporte deux parties qu’il importe rigoureusement de distinguer eu égard à leur structure différente (l’une étant un dialogue, l’autre un exposé de doctrine) et au fait que la seconde traitant d’un objet de la foi et non plus de la raison, ne peut donc être mise sur le même plan ontologique. Il importe donc de présenter ces deux parties.

1° La partie dialectique : étude du langage (Paragraphes 1 à 37)

Pour l’auteur précité – suivi en cela par Mr. Jolibert (4) - cette partie constitue une discussion sur le langage qu’il découpe en trois moments :

Les paragraphes 1 et 2 auraient pour objet de déterminer les buts du langage. Augustin y indique en effet que nous ne parlons qu’afin d’enseigner, apprendre ou rappeler. L’enseignement est donc le but de tout langage. Celui-ci est un moyen, il ne saurait être une fin.

Les paragraphes 3 à 30 énonceraient le premier élément de la thèse qui poserait que « rien ne s’enseigne sans les signes ». Nous pouvons certes, comme il le démontre paragraphe 6, nous « passer de mots », le langage des sourds muets et les pantomimes étant une démonstration de ce fait. Mais le signe est nécessaire : pour preuve, comme le démontre l’interprétation d’un vers de Virgile, « si », « nihil » et « ex », renvoient à des idées qui ne peuvent être comprises sans ces trois mots. De plus, même si certaines choses telle la marche peuvent être montrées sans signe, ceux-ci restent nécessaires pour permettre de distinguer « marcher » et « accélérer », par exemple.
Toutefois, ces signes renvoient à des représentations et non à des choses, mais d’où nous vient la connaissance de ces choses ?

Les paragraphes 31 à 37 répondent à cette question en posant le second aspect de la thèse : les signes n’enseignent rien. Ce troisième moment met ainsi en évidence un paradoxe qu’il faudra résoudre. En effet, même si l’on ne peut se passer de signes pour enseigner, ces signes que sont les mots ne nous apprennent rien « car nous apprenons la valeur du mot, sa signification par la chose signifiée et non inversement ».

Un exemple illustre ce paradoxe : je ne peux comprendre cette phrase extraite de la Bible «  les sarabares ne furent pas endommagées » (paragraphe 33), si j’ignore ce qu’est une sarabare.

Le paradoxe entre cette nécessité du langage pour enseigner et le fait qu’il n’enseigne rien oblige alors à opérer le saut ontologique évoqué plus avant.

En effet, la raison seule crée des paradoxes qui peuvent conduire au scepticisme. Or, pour Augustin, le scepticisme ne peut être admis en ce qu’il conduit au désespoir et qu’il est faux. En fait, je ne puis résoudre par la raison ce paradoxe, car une partie du sens de l’existence m’échappe aussi : « ne pouvant connaître la plupart des choses, je sais néanmoins l’utilité qu’il y a à en croire certaines » (Paragraphe 37). Le discours se doit donc désormais de remplacer le dialogue et la foi de suppléer à la raison.

2° La partie du discours et la doctrine du Maître intérieur

Cette seconde partie débute au paragraphe 38. Après avoir préparé l’esprit « par [l’] usage des sciences éveilleuses » (5), notre auteur expose sa doctrine.

L’exposé de cette thèse est opéré au paragraphe 38. Elle se compose de deux éléments :
- d’une part, le véritable Maître n’est pas le professeur, car « pour toutes les choses que nous comprenons ce n’est pas une parole qui sonne au dehors (…) mais bien la vérité qui préside intérieurement à l’esprit lui-même, seulement averti par les mots de devoir le faire ».

Cette doctrine explique ainsi les raisons du paradoxe que le dialogue a précédemment mis en évidence : les mots n’enseignent rien en eux-mêmes car ils ne sont que création humaine et sont donc imparfaits. Ils ne sont pas le véritable maître. Le seul qui puisse être appelé ainsi c’est le Christ, unique Médiateur entre nous et le Père en qui se trouvent les vérités éternelles.

Cependant, je ne puis me passer de « signes » pour comprendre, car étant homme, affecté par l’orgueil et marqué par le pêché originel, je ne puis toujours - de moi-même - contempler cette Vérité et j’ai besoin d’autrui pour pouvoir avoir le courage de rompre mes habitudes et sortir de ce matérialisme qui « alourdit ma pensée » (6).

Le mot « charnel » n’est que signe en ce qu’il est là simplement pour m’indiquer la direction où aller, pour trouver le sens que j’ai perdu, moi qui suis égaré.

L’information ne passe donc pas d’un interlocuteur vers un autre, car comme Augustin le précisera plus après dans le De Trinitate (VII 12), « Le verbe intérieur reste immanent, nous usons de la parole ou d’un signe sensible pour provoquer dans l’âme de notre interlocuteur, par cette évocation sensible, un verbe semblable à celui qui demeure en notre âme pendant que nous parlons ». Le mot n’est pas la forme. Il n’est qu’une imitation de celle-ci et c’est cette imitation qui me permet de comprendre le vrai.

- d’autre part, cette thèse comprend un second aspect concernant l’erreur.
Celle-ci ne vient pas «  de la vérité consultée, comme ce n’est pas la faute de la lumière extérieure si nos yeux corporels se trompent souvent ».
L’erreur provient d’une faiblesse de l’âme qui trouve souvent son origine dans l’orgueil que l’exercice intellectuel et la science peuvent parfois permettre de diminuer par l’humilité qu’ils imposent à ceux qui étudient avec souci du vrai. La foi a donc aussi besoin de l’intelligence et de la preuve et le second moment de cette partie est celui de la preuve de cette doctrine.

Cette preuve rationnelle s’effectue, de deux manières différentes, dans les paragraphes suivants :

– en premier lieu, l’expérience confirme le premier aspect de la doctrine. Nous ne voyons le vrai que par le truchement de notre intériorité. En effet, il existe deux formes de perception : celle qui touche les sensibles et celle qui affecte les intelligibles. Or, pour les choses sensibles, lorsqu’elles sont présentes, la chose m’enseigne et non le mot : lorsque j’interroge mon interlocuteur sur la nouvelle lune, ce n’est pas le mot « lune» qui l’informe mais la vision de l’objet « lune » (Paragraphe 39). Lorsque les choses sensibles sont absentes, le mot fait signe non vers la chose mais vers l’image de celle-ci, que j’ai conservée en ma mémoire.

Le groupe de mots « cette arche vue à Carthage » ne dira quelque chose à mon interlocuteur que lorsqu’il fera retour en lui et se souviendra de la perception qui a été la sienne lorsqu’il a vu cette arche.
Quant aux choses intelligibles, mon interlocuteur ne les apprend que lorsqu’il fait retour sur lui-même et qu’il reconnaît la vérité de ce que je dis ou, qu’au contraire, il accepte de me croire ou refuse de le faire. Mais en ce cas, ce mouvement est lui-même un acte intérieur qui s’opère à l’occasion des paroles prononcées par le locuteur. Ces paroles ne sont donc que l’occasion d’un rappel et non ce qui m’enseigne ;

- en second lieu, l’analyse des mots révèle une faiblesse qui nous interdit de penser qu’ils puissent être ce qui enseigne. En effet (paragraphes 42 à 44), les mots n’expriment pas toujours la pensée de celui qui parle car il « n’est pas certain (que ce dernier) sache toujours ce qu’il dit ». De plus, notre langue peut défaillir et nous pouvons dire des choses qui dépassent notre pensée. Le menteur lui-même use des mots non pour dévoiler mais pour maquiller ses pensées. Enfin les mots n’ont pas toujours la même signification pour celui qui les prononce et pour celui qui les entend.

Cette lecture insiste donc sur la fin plus que sur le commencement de l’œuvre. Que nous indique-t-elle au regard de la question posée et qu’implique-t-elle ?

B. - Conséquences de cette lecture

Si cette lecture est comprise telle que nous l’avons exposée, elle implique qu’Augustin proposerait deux réponses à la question que nous nous posions en introduction :
- d’une part, la langue est imparfaite du fait de son caractère extérieur, inapproprié au vrai qui lui est intérieur ;
- d’autre part, l’enseignement n’est pas transfert d’informations mais découverte en soi de notre vérité.

Pour enseigner, le professeur doit au mieux adopter un questionnement adapté aux forces de l’élève.

Cependant, cette lecture – si elle est essentielle - ne nous paraît pas suffisante et ce pour plusieurs raisons :
- en premier lieu, comme l’indique H. Arendt, pour interpréter Augustin, il est toujours nécessaire de rendre explicite ce qu’il dit de manière implicite (7) ;
- en deuxième lieu, par ce qu’elle ignore cette parole augustinienne reprise notamment dans « de l’enseignement chrétien » (I-11-11) selon laquelle « Il est partout présent à l’œil sain et intérieur » qui implique donc une attention sur cette omniprésence et ce travail d’assainissement du regard ;
- de ce fait, et en troisième lieu, elle risque d’être perçue comme un commandement par un œil insuffisamment préparé et donc de négliger le propos d’Augustin qui voulait précisément renforcer l’esprit avant l’écoute de cette Vérité afin qu’il ne la vive pas seulement comme une crainte.

Il importe donc de proposer une deuxième lecture de l’œuvre, tournée cette fois vers la présence constante de la fin.

II. - Le De Magistro lu au regard d’une présence

Mr. Madec a proposé une lecture du De Magistro qui privilégie la fin (la doctrine du Maître intérieur). Cependant une seconde lecture peut également être proposée. Celle-ci éclairerait alors un autre aspect du texte. Nous savons que pour Augustin tout est « présence » car l’être est en tout. Si le langage n’enseigne pas, il n’est donc pas interdit d’envisager une langue de l’enseignement qui aurait plus d’être que les autres. Il n’est pas interdit de penser qu’Augustin accordait, malgré tout, une importance à la manière de dire les choses.

Mais quel serait ce langage ? Avant de le présenter, une justification de la lecture ici proposée s’impose.

A. - Justification de la seconde lecture proposée

Trois raisons, qu’il importe de présenter, peuvent justifier cette seconde approche de l’oeuvre.

1° Une division tripartite

Trois éléments justifient cette division :

- contrairement à ce que considère Mr. Madec, nous ne pouvons tenir la récapitulation des paragraphes 19 à 21 comme ne constituant pas une rupture, car Augustin lui-même au paragraphe 22 évoque une « partie » qui débute et qu’il faut examiner ;
- de plus, au paragraphe 21, l’auteur prend la peine d’exposer le sens de sa démarche préalable. Or, un sens exposé constitue, selon nous, un premier éclairage qu’il offre au lecteur. Un éclairage explicite ne doit pas être tenu pour anodin dans un tel travail qui repose sur l’idée d’illumination pour aboutir à la lumière divine ;
- enfin, comme l’indique E. Gilson, le saut ontologique s’opère - pour l’auteur de la Cité de Dieu - suivant une progression par degrés que doit accomplir l’âme pour contempler la vérité (8). En conséquence, il importe de découper ce texte à la lecture de cette progression et de considérer celle-ci comme un des aspects de cette langue de l’enseignement augustinienne. Or le découpage de Mr. Madec ignore cette progression. Mais une seconde raison justifie cette lecture.

2° Le lien enseignement/langage

Certes l’œuvre n’a pas pour objet final le langage. Augustin l’indique bien, son but n’est pas de réfléchir sur « l’utilité des mots ». Celle-ci, « nous la chercherons une autre fois si Dieu le permet », écrit-il (Paragraphe 46). Cependant enseignement et langage sont bien liés pour Augustin et l’étude de l’un ne peut s’opérer sans celle de l’autre. Plusieurs éléments dans l’œuvre et hors de celle-ci paraissent le révéler :

- d’une part, avant d’avoir indiqué que son but n’était pas la langue, Augustin a en effet écrit qu’il ne voulait pas « calomnier les mots à cause de la négligence des auditeurs ou même à cause de la surdité des hommes ». (Paragraphe 44). L’utilité des mots «n’est pas minime » (Paragraphe 46), selon lui, et le mal n’est pas dans les mots mais dans l’usage « négligent » que l’on en fait. Il y a donc un bon usage du discours, pour Augustin ;

- d’autre part, l’auteur a reconnu au paragraphe 2, que l’Ecriture Sainte elle-même s’est servie de mots pour faire signe. Et si l’œuvre s’appelle « De Magistro », et renvoie au magister qui signifie aussi l’enseignant en latin, elle débute cependant par une interrogation sur le langage : « Pourquoi parlons-nous ? », demande Augustin au paragraphe premier. Le commencement de son œuvre s’opère donc par l’étude de la langue. Elle ne peut ainsi être ignorée puisque Augustin lui-même débute sa recherche par une interrogation sur le langage ;
- enfin, comme l’indique E. Gilson, la spéculation chez Augustin « vise toujours des fins pratiques et son point d’application immédiat est l’homme ». L’étude des mots et d’un langage adapté est donc nécessaire pour Augustin. Comme le précise Mr. Marrou, « Saint Augustin est toujours resté le rhéteur, maître de tous les procédés de l’art et (…) l’usage de cette rhétorique loin d’être, comme l’admettent trop facilement les modernes une faiblesse, une marque d’insincérité sert au contraire l’expression d’une pensée profondément originale » (9). Certains de ses textes expliquent ainsi comment, par l’éloquence, il a pu éviter une guerre civile. N’oublions pas que c’est Cicéron qui l’a éveillé à la philosophie (Confessions, III, IV, 7). L’éloquence n’est donc pas un mal pour Augustin si elle est utilisée à bon escient.

En conséquence, pour l’auteur du De Trinitate si la langue est un « rappel », cela n’implique pas qu’il faille négliger l’étude de la langue la plus adaptée pour effectuer ce rappel. Il reste cependant à examiner la place qu’il réserve à cette étude qui est la dernière raison qui justifierait cette autre lecture de l’oeuvre.

3° L’importance de la dialectique

Si pour enseigner il faut parler, Augustin estime qu’il faut également contredire et distinguer. La dialectique, c’est un dialogue mais aussi l’art de « mettre à part » et trier. Ces deux aspects de la dialectique sont bien présents dans l’œuvre afin que chaque chose puisse occuper la place qui lui revient.
Remettre en place c’est aussi critiquer ceux qui se trompent. Or l’œuvre contient bien trois parties. Certes les deux premières préparent le lecteur. Cependant, alors que la première s’appuie sur les platoniciens pour critiquer les lettrés, la seconde entend bien se constituer comme une critique platonicienne pour permettre l’énoncé de la thèse augustinienne. En effet, si les académiciens ont permis à Augustin de découvrir l’existence de vérités intelligibles et immuables, ils n’ont pas compris que le « verbe s’était fait chair » (Confessions, VII 9).

Mr. Madec ne met pas suffisamment en évidence cet aspect dialectique et polémique du De Magistro qui est, au contraire, fortement souligné par Mr. Marrou. Cette seconde lecture permet une telle appréhension du texte. Il importe donc à présent d’examiner l’œuvre au regard de celle- ci.

B. - La seconde lecture tripartite proposée

Si Augustin est lu sous le second angle proposé, l’œuvre doit donc se décomposer en trois parties. Nous avons exposé la dernière qui énonce la doctrine du Maître intérieur. Il importe à présent d’étudier plus en détail les deux autres.

1° La réfutation des lettrés : les signes montrent autre chose qu’eux-mêmes (paragraphes 1 à 21)

Les lettrés se trompent. Ils pensent que seul le langage compte et ils s’enferment dans la rhétorique. Or celui-ci n’est qu’accessoire, il montre une chose plus importante que lui. La première partie a pour objectif de mettre en évidence cette erreur et ce de trois manières.

La première manière : la subordination du signe à la chose

Le langage « sert » autre chose que lui-même. Il sert à enseigner et apprendre. Il est donc subordonné à l’enseignement ; or pour Augustin, « tout ce qui dépend d’une chose est nécessairement de moindre valeur que ce dont il dépend » (Paragraphe 25). De plus, il n’est pas de langage sans pensée. Le « chant des oiseaux » ne peut ainsi être appelé langage puisque les animaux n’ont pas d’âme.

Le lettré se trompe donc, lui qui évoque la langue pour la seule beauté de celle-ci. Mais cette erreur, si elle doit mettre la rhétorique à sa juste place, ne doit pas ignorer celle-ci. Ce passage révèle simplement que l’erreur du « sophiste » vient du fait que sa langue ne pense pas et ne fait que tourner sur elle-même. Une première indication nous est ainsi donnée sur la langue enseignante qui n’enseigne que si elle est pensée en acte.

La deuxième manière : le signe est un révélateur de la chose

Les paragraphes 3 et 4 peuvent autoriser une interprétation différente de celle proposée par Mr. Madec. Ils peuvent être lus comme mettant en évidence le fait que le langage peut révéler la pensée de celui qui parle.
Le « si » révèle un « doute ». Le « nihil » lui-même, est preuve « d’une affection de l’âme » qui signifie une déception. Mais le « de », à quoi renvoie-t-il ? Il renvoie aussi à une idée, celle d’une provenance ; celle précisément d’une chose dont le langage serait issu et qui expliquerait sa subordination.

Les lettrés sont donc une nouvelle fois réfutés. A partir du langage, je peux obtenir des informations sur les « affections de l’âme » de l’enseigné et adapter mon discours en fonction de celui-ci sans pour autant ignorer qu’il n’est qu’accessoire. Ces informations que le langage me donne sont bien la preuve qu’il porte autre chose que lui-même. Une troisième caractéristique permet d’appuyer cette réfutation.

La troisième manière : le langage pluriel

Comme l’indique Mr. Fraisse (10), pour Augustin «  Dès la connaissance la plus sensible nous pouvons reconnaître des harmonies, des propositions ou simplement des mesures et des rapports qui permettent de penser le multiple à partir de l’unité ». L’étude du langage doit donc être orientée vers cet objectif et celle-ci révèle qu’il est divers pour s’adapter à la contingence.

Deux éléments, parmi d’autres, dans cette longue liste qu’Augustin opère dans les paragraphes 5 à 16 de l’oeuvre, confirment cette interprétation possible de son travail :

- en premier lieu, tout mot – et ce, même le plus abstrait – renvoie toujours à une chose. Ainsi le mot est signe du nom, le nom signe du fleuve et « fleuve » signe de la chose visible. Si ces différents liens existent entre des signes qui correspondent entre eux, cette correspondance s’explique par la diversité des langages, certains étant plus abstraits que d’autres et donc pouvant exprimer plus d’idées générales que ceux qui le sont moins (Paragraphe 9) ;

- en second lieu, s’il existe des liens entre les mots, cela s’explique par le fait que certains sont plus précis que d’autres et donc plus adaptés à certaines situations (Paragraphe 13) ou qu’ils pourront correspondre à un sens qui pourra être plus développé chez tel auditeur plutôt que chez tel autre. Il y a en effet, un signe pour chaque sens. Le « geste » pour la vue, les mots parlés pour l’ouie et les mots écrits pour le sens interne (Paragraphe 8).

En conclusion, ce premier moment est l’occasion pour Augustin de démontrer que, certes rien ne s’enseigne sans signe, mais aussi que le signe est au service d’une chose et que sa nature contingente est pensée précisément pour pouvoir s’adapter aux différentes situations.

Avec untel qui a l’esprit concret, je pourrais parler concrètement (par exemple en utilisant des métaphores pour me faire comprendre de lui ou en faisant des gestes) ; avec tel autre qui a l’esprit plus abstrait, je pourrais utiliser un langage plus élaboré. Les différentes formes de langage – qui constituent la contingence de celui-ci – permettent de m’adapter aux situations les plus variées. Le langage est varié pour répondre à cette variété.

Le lettré est donc contredit. Il expliquait l’impossibilité de trouver quelque chose d’autre que les mots derrière les mots, sous le prétexte que la langue n’est pas une. Il se voit démenti car la langue est une en ce qu’elle est plurielle et cette pluralité s’explique précisément pour permettre à des hommes différents de se comprendre malgré leurs différences. Cette nature est adaptée à son objet. Tout ce qui existe est ce qu’il est pour des raisons précises et qui dépassent l’homme. Ceci prouve bien qu’il existe un ordre des choses implicite dont le lettré ignore tout.

Adéodat a-t-il compris le discours complexe et implicite de son père ? Nous ne le pensons pas car la récapitulation des paragraphes 19 et 20 effectuée par « l’élève » ne font pas état de la complexité de cette pensée. Pourquoi Augustin n’a-t-il pas été plus explicite ? Parce que, comme il l’indique au paragraphe 21, ce qu’il a à exprimer « est encore difficile à dire ». De plus, celui qui l’écoute ne pourra le comprendre s’il n’a pas « exercé les forces et la pénétration d’esprit nécessaire afin d’être à même (…) d’aimer l’ardeur et la lumière de cette région où règne la vie bienheureuse ».

L’interprétation de Mr. Madec ne met pas suffisamment ce point en évidence. La première partie n’était donc qu’une étape préparatoire. Il s’agissait de « vaincre » le matérialisme d’Adéodat, de réfuter l’influence que les lettrés avaient pu avoir sur lui en lui montrant que le langage n’était qu’apparence et que la vérité se dissimulait souvent dans les plis de l’implicite et qu’elle exigeait interprétation.

« L’élève », malgré la difficulté du dialogue, ayant continué à faire preuve de bonne volonté en expliquant « que jamais (…) [il] n’estimerai[t] méprisable ce que (…) [le professeur a] jugé bon de dire ou de faire », il est désormais possible de passer à la seconde réfutation.

2° La réfutation des platoniciens : l’impossibilité de comprendre le signe sans connaître la chose (Paragraphes 22 à 37)

Ce deuxième moment est également, selon nous, une réfutation pour Augustin. Il a pu rompre avec le matérialisme et montrer qu’il existait autre chose derrière le langage et ce, grâce aux platoniciens, car ce sont eux qui lui ont appris l’usage d’une dialectique permettant de distinguer la matière de l’esprit. C’est avec eux qu’il faut rompre à présent pour pouvoir permettre la pénétration dans le sanctuaire de la vérité et faire en sorte que celle-ci se dévoile.

Il faut donc à présent montrer que le langage n’enseigne pas, que c’est seule la « chose unique signifiée » qui enseigne. Pour ce faire, il va mettre en évidence, selon nous, l’insuffisance du signe, la supériorité puis la nécessité de la chose.

Le signe seul est en effet insuffisant pour enseigner. L’échec précédent vient de le montrer mais surtout Augustin confirme cet état de fait, au paragraphe 22, lorsqu’il nous indique que son fils n’a pas compris la question suivante «  l’homme est-il un homme ? » et a cru que son père se moquait de lui.
Il nous explique qu’Adéodat s’est trompé car il a pris le mot pour la chose. Il est resté enfermé dans la prison des mots. Cet enfermement est le fait du langage qui conduit à prendre le signe pour ce qu’il signifie en raison d’une loi inscrite en nos esprits et dont les logiciens de Port Royal se souviendront. Cette loi est la suivante : «  lorsque nous entendons le signe (…) nous portons immédiatement notre attention sur les choses signifiées » (Paragraphe 24) et nous confondons les mots avec la réalité alors que ceux-ci la servent et ne la constituent pas.

Le langage est insuffisant parce qu’il crée cette confusion et éloigne de ce qu’il faut contempler pour comprendre. Cette confusion masque une infériorité.

Le signe est inférieur à la chose car il enseigne moins qu’elle. Il ne porte que sur des mots alors que la chose qu’il s’agit de montrer n’est autre que la connaissance du vrai. Or, la connaissance du vrai vaut mieux que la connaissance des mots et ainsi mieux vaut connaître une maladie que le nom de cette maladie (Paragraphe 25). Pourquoi refusons-nous cette supériorité ? Parce que nous sommes orgueilleux et souffrons de ne pas être omniscients et parce que cette conscience d’un manque augmente notre orgueil.

Enfin, la chose est nécessaire pour comprendre le signe ; l’exemple des sarabares qui a été déjà évoqué montre cette nécessité.

Le dialogue socratique est insuffisant car si l’esprit de l’enseigné n’est pas encore préparé, s’il n’a pas reçu l’illumination divine, je ne pourrai la lui montrer. L’exemple de l’esclave du Ménon qui découvre par lui-même une vérité éternelle par l’intermédiaire de ce médiateur humain - qu’était Socrate - est donc faux et Platon s’est trompé. Le médiateur n’est pas humain. Augustin confirmera ce point, dans les Confessions : il reprochera à ces penseurs d’avoir voulu trouver Dieu « le cœur enflé de leur science prétentieuse » et de se mettre en quête d’un « médiateur pour les purifier » (Confessions, Livre X, chapitre XLII).

Cette nouvelle réfutation autorise alors l’annonce, par Augustin, de la thèse déjà évoquée du Maître intérieur mais ces informations nous permettent-elles de mettre en évidence une langue de l’enseignement chez Augustin ?

C. - Conséquences de cette lecture

Le médiateur humain n’enseigne pas. Pour Augustin, tout enseignement est organisé autour d’une structure trinitaire qui n’est pas horizontale et qui passe nécessairement par Dieu. Chez lui, l’élève et le professeur sont unis par un Tiers qui rend possible l’écoute mutuelle.

Mais comme nous l’avons vu, cette « infirmité » du langage humain n’exclut pas la nécessité de l’étudier afin de mieux « faire signe » à cet homme intérieur que l’élève doit rencontrer. Une langue plus adaptée à l’enseignement est donc envisageable, le texte étudié le montre. Celle-ci est avant tout une méthode.

La méthode. Pour Augustin, enseigner c’est aussi suivre une méthode et la seconde lecture que nous venons de proposer du De Magistro, le confirme.
Cette méthode tient, en premier lieu, en une séparation du temps de l’enseignement en trois époques, que révèlent les trois parties de l’œuvre :

a) une période de distinction et de préparation où il s’agit de connaître les problèmes de l’élève, trouver la langue qu’il faudra lui parler, l’aider à distinguer ce qui doit l’être et mettre en place les découpages qui seront utiles pour lui montrer ce qu’il doit voir ;

b) une période de préparation de l’énoncé de la loi par le rappel de quelques règles importantes et la remise en cause de la langue utilisée précédemment pour faire les distinctions nécessaires, et

c) une période d’exposé du vrai.

Mais cette méthode – le De Magistro le confirme – tient aussi, en second lieu, en un rappel. Enseigner c’est rappeler et donc avertir. Celui qui veut enseigner doit savoir que le langage n’est qu’un moyen dont il ne faut cependant pas nier la valeur. Mais il n’est langage que si il sert un but : conduire l’élève vers son Maître intérieur, vers son âme, afin que celle-ci qui est la vie du corps le conduise ensuite vers Dieu qui est source de toute vie. Cette méthode implique également un comportement.

Le comportement de celui qui enseigne doit être, pour Augustin, celui d’une personne qui sait que nul « ne peut être appelé maître sur cette terre parce qu’il n’y a qu’un seul Maître » (Paragraphe 46). 
La langue augustinienne de l’enseignement doit donc être humble. Elle n’est pas celle d’un maître face à un disciple car nous sommes tous disciples d’un seul Maître. Cette humilité implique le respect de l’autre et donc parfois l’usage de mots couverts pour que la vérité ne le blesse pas.

Mais il n’est de langue enseignante lorsque celui qui enseigne se considère comme un « gourou ». Cette langue doit donc contenir une vraie pensée, répondre à toutes les questions que l’élève se pose et non lui suggérer des allusions ésotériques comme les sectes manichéennes l’avaient fait avec Augustin. L’implicite doit être présent dans le discours. Mais il doit être rendu explicite - et l’élève aidé dans ses recherches - lorsque le temps est venu et le désarroi du chercheur trop important. Il n’est donc de langue enseignante sans contenu.

Le contenu, c’est ce qui est et, en même temps, n’est pas, car il n’est pas visible sans un contenant mais il est, car il est tout, alors que le contenant n’est rien. En conséquence le contenu du langage enseignant doit être adapté à ce terme qui le représente. Il doit être et ne pas être. Il lui faut à la fois être absent et présent en même temps. Il doit être dans l’absence/présence. Pourquoi ? :

a) afin, comme le rappelle H. Arendt, de mettre au jour une présence qui en elle-même, est présente sans l’être trop sans doute parce que tout ce qui est trop est « de trop » et ignore la mesure. Or cette Présence qu’il s’agit de signifier contient toute mesure. De plus, parce que toute présence qui serait trop présente, deviendrait indispensable et créerait la peur d’une perte et donc un manque qui, en lui-même, est l’inverse de ce plein vers lequel il s’agit de faire signe (11) ; 

b) pour laisser l’élève s’exprimer car nul n’apprend s’il ne désire apprendre. Or pour que l’élève puisse exprimer sa volonté, il faut que le professeur sache aussi se taire (être absent) et écouter (être présent). Mais ce silence est également nécessaire pour que « l’ineffable puisse être vu ineffablement » (De Trinitate, 1.1.3) ;

c) en effet, la présence trop présente c’est celle qui s’impose, qui fait du bruit : celui de l’homme extérieur, qui interdit l’écoute par l’autre de son soi intérieur.

En conséquence, au terme de cette deuxième lecture de l’œuvre, il est possible de découvrir l’existence d’une langue enseignante chez Augustin. Cependant cette lecture elle-même n’est pas sans poser problème. La première interprétation ignorait un aspect de la parole augustinienne et pouvait conduire à une confusion entre l’ordre et le commandement. Elle risquait par la peur de détourner les regards de l’objet vers lesquels il s’agissait de les porter.

Celle que nous venons de proposer présente un autre risque : celui d’un lecteur inattentif qui pourrait mettre sur le même plan deux étants de nature radicalement différente chez Augustin : la Chose et le langage, les maîtres extérieurs et le Maître intérieur. Cette interprétation risque de conduire à une confusion de deux ordres distincts qui serait toute aussi fâcheuse que celle que nous désirions éviter.

Une troisième lecture de l’œuvre peut alors être proposée. Elle permettra peut-être de répondre plus précisément au problème posé. Cette fois, il s’agira d’étudier le commencement de l’œuvre pour trouver sa fin mais en considérant celui-ci comme un fondement et non plus comme un lieu ou une origine.


III. - Lecture du De Magistro à partir de ses fondements

Comprendre et faire comprendre ce texte, tel fut notre objectif tout au long de ce travail et nous pouvons imaginer le fait que le lecteur a pu être troublé par notre présentation et les détours que nous avons adoptés pour réaliser ce projet. Mais comment éviter ces détours face à un auteur qui, lui-même nous a indiqué leur nécessité pour se faire comprendre ?

Fallait-il le trahir et l’enfermer dans une présentation trop rigoureuse dont - H. Arendt l’indiquait elle-même – Augustin se satisfait mal tant le contenu importe plus chez lui que le contenant ? Mais comment enfermer un contenu sans le trahir ?

La lecture trinitaire de son objet nous est apparue la plus adaptée tant cette œuvre unique peut se lire en au moins trois dimensions, telle notre âme à la fois une et triple. L’implicite et l’explicite se croisent souvent chez Augustin. Mais sommes nous certains de les avoir tout à fait saisis et répondu, par la même, à la question que nous nous posions ?

Pour ce faire, nous nous proposons précisément un dernier éclairage sur ce travail ; un éclairage qui porterait sur les fondements de celui-ci. Ceux-ci dévoileront peut-être ce tiers (qui, pour Augustin, enseigne) et qui unifie cet extérieur et cet intérieur que nous cherchons à conjoindre. Des fondements se trouvent en cherchant les raisons premières. Il nous faut donc tenter de découvrir celles d’Augustin pour justifier sa démarche.

A. - Les fondements premiers de la thèse

Pourquoi Augustin a-t-il soutenu une telle thèse ? Quelles furent ses motivations ? Trois ordres - qui se croiseraient - peuvent expliquer sa démarche et ce croisement peut justifier les difficultés de lecture de cette oeuvre :

L’ordre des raisons théologiques. La thèse augustinienne conçoit la présence de deux maîtres de nature différente. Comment expliquer cette conjonction ? Trois raisons ici peuvent sans doute justifier cette thèse :

a) la Vérité est divine. Cette divinité est au-dessus de l’homme. Elle est d’une nature si différente de la nature humaine, que celle-ci ne peut la comprendre, hors les cas rarissimes de ceux qui sont touchés par la grâce. Cependant s’il est faible, il peut s’exercer à la voir et pour cet exercice un « entraîneur » extérieur est nécessaire. Son rôle consiste à lutter contre l’homme extérieur de l’élève qui veut toujours le conduire hors de l’esprit ;

b) de plus, deux maîtres sont nécessaires car l’homme est un être double, composé d’extériorité et d’intériorité ; marqué par la peccabilité. Il a donc parfois besoin de signes extérieurs pour comprendre l’intérieur, comme l’enfant a besoin d’images pour comprendre des réalités trop abstraites pour lui ;

c) enfin, cette complémentarité a peut-être été voulue par Dieu afin que nous soyons tous dépendants les uns des autres pour limiter le mal que nous pourrions nous faire les uns aux autres. Enseigner est en soi une activité qui unit les hommes plus qu’elle ne les divise. Si l’enseignement est nécessaire, c’est sans doute parce qu’Il a voulu que nous soyons unis par lui plus que divisés par nos orgueilleuses querelles.

Mais ces conjectures sont toutes personnelles. Elles ne sont qu’hypothétiques et expriment une croyance. Sont-elles les seules qui expliquent la démarche d’Augustin ? Chez cet auteur, la foi éclaire toujours l’intelligence. Il est donc possible de considérer que des raisons plus rationnelles s’associent à ces motivations purement théologiques.

L’ordre des raisons logiques. Pour Augustin, nul n’apprend lorsqu’il ne s’est pas approprié son savoir, lorsqu’il ne le ramène pas à sa conscience. Ce retour ne nous paraît pas identique à la réminiscence platonicienne. En effet :

a) chez Platon comme chez Augustin, il faut provoquer l’âme au dialogue avec elle-même par l’usage d’apories. Cependant chez Augustin, ce moment dialectique n’a qu’un temps. De plus, le vrai ne se dévoile pas par un dialogue entre soi et soi mais il se révèle dans un dialogue avec Dieu. Celui-ci est en relation avec notre homme intérieur mais il est « au-dessus de lui ». Il y a entre Lui et l’homme une différence de nature et non de degré et ce, même si le chemin qui nous mène à Lui suppose le franchissement de plusieurs étapes tels des barreaux d’une échelle qu’il faudrait monter peu à peu pour atteindre un point situé au-dessus de nous ;

b) chez Platon comme chez Augustin, le mot « invite à chercher les objets » (Paragraphe 36). Cependant chez notre auteur, cette invite se traduit mécaniquement - comme le rappelle E. Gilson - par le mouvement d’une pensée qui « recueille en soi les connaissances latentes qu’elle contient » afin de les « tirer de leur état de dispersion et les rassembler » (Confessions, X, II). Pour Augustin, apprendre c’est rassembler toutes les idées qui ne sont encore qu’à l’état de traces dans notre mémoire ; or pour rassembler, il faut vouloir et le vouloir est par essence la marque d’un libre arbitre qui est essentiel dans toute sa doctrine. Celui qui ne veut pas savoir ne saura jamais ;

c) savoir c’est d’abord vouloir savoir. En conséquence toute connaissance vient d’abord du vouloir. Le Maître intérieur est donc une conséquence de cette philosophie de la conscience et de l‘intériorité augustinienne qui place en l’homme la mesure de toutes choses et qui - pour éviter Protagoras - place l’homme qui mesure en Dieu.

Mais Augustin n’est pas qu’un philosophe et un père de l’église. Sa vie fut aussi son œuvre ainsi que ses engagements. Ceux-ci expliquent peut-être la fin qu’il s’est donné.

L’ordre des raisons politiques et personnelles. Augustin a peut-être effectué cette recherche et soutenu cette thèse pour des raisons liées à son époque et la vie qui a été la sienne. Nous savons que des interprétations biographiques ou historiques n’expliquent que rarement une pensée mais faut-il pour autant les exclure ? Quatre d’entre elles peuvent être proposées :

- en premier lieu, il ne faut pas ignorer qu’avant d’être philosophe et prêtre, Augustin a été rhéteur. Il a donc sans doute - par ce texte - cherché à relier les deux vies qui ont été les siennes : celle du rhéteur (le premier moment) et celle du chrétien définitivement converti (le dernier moment). La seconde partie est bien ce moment qui relie les deux ;

- en deuxième lieu, il faut rappeler qu’Augustin a écrit son texte dans une période troublée alors que l’ordre régnait sur Rome. Or la méthode qu’il propose réévalue l’élève en précisant que celui-ci possède en lui une part de divinité et place donc ce dernier au centre de tout enseignement. Elle annonce donc une forme d’humanisme chrétien contre l’ordre impérial et ses faux maîtres qui ne sont que dominium et rarement magister ;

- en troisième lieu, historiquement, elle constitue un nouveau dépassement de la pensée. Socrate en effet fut celui qui autorisa la première rupture. Après lui, il ne fallait plus parler de « sage » mais d’amoureux de la sagesse « philo-sophe ». Avec Augustin, il ne faut plus penser à la possibilité d’un médiateur humain ; le médiateur est divin, l’homme ne peut plus être que signe. Cette thèse est aussi une morale de l’humilité ;

- enfin, pour Augustin la paix est préférable à tout bien hors Dieu. La doctrine du Maître intérieur, comme il l’explique (Confessions, XII, 25), présente un avantage à ce sujet. Les disputes surviennent souvent parce que nous voulons interpréter la pensée d’autrui or pourquoi le faire si nous considérons que le vrai n’est ni en nous ni en l’autre mais en chacun de nous ? Les disputes n’en deviennent-elles pas inutiles et les hommes n’en sont-ils pas ainsi unis par ce Maître commun qui les ordonnent en oubliant les petits maîtres qui sont en eux et qui sont à l’origine de leurs disputes ?

Cette analyse des fondements nous livre ainsi une nouvelle information sur le langage enseignant que nous recherchions par cette lecture du De Magistro.

Un tel langage ne doit pas ignorer la situation de l’enseignant, sa biographie et les circonstances de fait dans lesquelles il enseigne. Il doit être adapté à sa personne et plus il se connaîtra, meilleure en sera sans doute sa visibilité auprès des élèves.
Une biographie, un projet, éclairent sous un jour différent les représentations qu’il peut se faire de l’hétérogénéité de ses élèves ainsi que certaines différences qu’il pourrait ressentir. Celles-ci peuvent également influencer la vision première qu’ils se feront de lui et qui expliquera des réactions hétérogènes face à sa démarche. 

Enseigner implique donc une connaissance de ses propres fondements. Cette nouvelle lecture nous l’a ainsi rappelé. Mais ces fondements premiers, ainsi hasardés et tout à fait discutables nous en convenons, reposent-ils sur des bases suffisamment incontestables pour justifier une réponse définitive à la question que nous nous posions ? Les fondements premiers d’Augustin ne dissimulent-ils pas aussi des fondements implicites et, dans l’affirmative, quels seraient-ils ?

B. – Les fondements implicites de la thèse augustinienne

Augustin nous a enseigné que, pour révéler ce qui se dissimule, la controverse intellectuelle est parfois tout à fait adaptée. Pour le comprendre, ne conviendrait-il pas d’exposer ce travail à la critique radicale que Wittgenstein a effectuée sur celui-ci ?

a) La critique d’Augustin par Wittgenstein a concerné deux aspects de sa doctrine

Ceux-ci ont été développés dans les « investigations philosophiques » et portaient sur deux points de la philosophie augustinienne.

Wittgenstein a d’abord développé une thèse remettant en cause l’idée même de toute intériorité or l’homme intérieur est l’homme vrai pour Augustin. Au paragraphe 293 du texte, il écrit ainsi : « si je dis de moi-même que ce n’est qu’à partir de mon propre cas que je sais ce que signifie le mot douleur, ne devrai-je pas dire la même chose d’autrui également ? Et comment puis-je généraliser ce cas unique de manière aussi irréfléchie ? ».

Wittgenstein se demande ainsi si l’intériorité n’est pas une projection ; si celle-ci n’est pas une excuse pour dissimuler nos propres représentations. Cette critique est recevable, nous paraît-il, car l’intériorité ne peut se prouver d’une manière indiscutable et le « rationalisme » augustinien touche ici son point limite. Reste à examiner le second aspect de la critique de Wittgenstein.

Au paragraphe 32, l’auteur du tractacus, écrit également « Saint Augustin décrit l’acquisition du langage humain par l’enfant comme si ce dernier venait d’un pays étranger sans en comprendre la langue ; c’est-à-dire comme s’il avait une autre langue mais pas cette langue ci». Il lui reproche donc d’ignorer ce qu’il appelle (Paragraphe 6) « l’enseignement démonstratif par les mots ».

En d’autres termes, si je peux comprendre mon interlocuteur, c’est que j’ai déjà reçu une éducation proche de la sienne et que c’est cette éducation qui dans mon plus jeune âge m’a formé ou « dressé ». Si nous nous comprenons, ce n’est pas parce que nous sommes liés par la même vérité intérieure mais simplement parce que nous avons reçu la même éducation.

En conséquence, comme le révèle la critique de Wittgenstein, la solution proposée par Augustin n’est admissible que si nous admettons d’une part, que la pensée est antérieure au langage et d’autre part, qu’une intériorité existe. Mais en quoi cette critique nous éclaire-t-elle pour découvrir ces fondements implicites de l’œuvre d’Augustin et pour mieux entendre le sens de notre recherche ?

b) L’éclaircissement critique

Augustin ne nie pas tout à fait, nous paraît-il, ce que Wittgenstein lui reproche. Selon lui, il n’est possible d’accepter l’enseignement sans une foi préalable, elle-même dictée par le cœur. Ce cœur là est premier et si je n’ai pas le désir de comprendre ni n’entendre ce que l’enseignant veut me montrer, je ne le verrai ni ne l’écouterai pas.

Wittgenstein appelle cette foi une « croyance » et n’est autre qu’un postulat qu’il ne peut accepter. Comme il l’explique dans son tractacus, le monde est un composé de faits ; or pour lui cette foi est un fait dont il faut tenir compte mais rien ne nous oblige à la partager. En conséquence, la thèse augustinienne est un modèle et ne repose en rien sur des certitudes indiscutables comme toute option philosophique. Augustin, quant à lui, justifie la foi par la grâce et traite d’orgueilleux ceux qui ne croient pas.

Comment résoudre cette querelle philosophique ? A notre avis, aucune réponse certaine ne peut être apportée pour la trancher en un sens ou un autre. La critique de Wittgenstein révèle ainsi qu’il est possible de proposer au moins deux grands projets pédagogiques ; que l’un et l’autre ne sont pas plus certains en ce qu’ils relèvent en effet d’un principe qui trouve son fondement dans la foi plus que dans la raison.

Quels sont ces deux modèles ?

- En simplifiant à l’extrême, nous indiquerons du premier – celui de Wittgenstein – qu’il craint le dogmatisme de ceux qui auraient trop la foi ainsi que les culpabilités qu’elle provoque. Il considère que ce « dont on ne peut parler il faut le taire » et qu’en conséquence, il est nécessaire de former l’esprit au doute sceptique plus qu’à la croyance en une volonté dont l’existence même est mise en doute. Apprendre c’est apprendre à savoir ce que l’on ne peut savoir. Ce scepticisme a été cependant critiqué par des auteurs comme Russell qui, bien que proches de Wittgenstein, ont considéré qu’il conduisait à terme à la négation de l’enseignement (12).

- Le second - celui d’Augustin – se défie de tout scepticisme qui mène à une forme de désespérance et il craint la suffisance d’un enseignement qui prétendrait ne se fonder que sur lui-même. Ce modèle repose sur le souci contraire de fortifier la volonté en la purifiant pour atteindre la foi consolatrice et unifiante. Apprendre ici, c’est apprendre à devenir soi par le truchement d’un Maître placé au-dessus de soi.
Les excès d’un tel modèle ont été critiqués, notamment par des auteurs proches d’Augustin – tel Mr. Marrou – qui ont vu en lui l’étouffement de pensées diverses que le souci excessif d’une pensée parfois trop unifiante pouvait provoquer.

La langue enseignante dépend donc du choix de modèle qui a été fait par l’enseignant ou du modèle pédagogique à l’intérieur duquel il officie. Mais que faire lorsque les modèles proposés sont multiples, lorsque la liberté est offerte à celui qui enseigne ?

Une conclusion de nos travaux s’impose dés lors, pour tenter d’apporter une réponse à cette question sans que celle-ci ne prétende ni à l’exhaustivité, ni à la certitude.
Conclusion

Notre interrogation première portait sur une langue de l’enseignement susceptible de répondre à l’hétérogénéité des situations d’enseignement et des enseignés en partant d’un commentaire du De Magistro.

Ce travail nous a révélé que trois lectures du texte étaient possibles. Toutes sont peut-être vraies, probables ou peut-être fausses. Elles ne se contredisent pas nécessairement. Leurs différences justifient cependant la méfiance d’Augustin pour les mots à qui, selon lui,  « il ne faut accorder plus de valeur qu’il ne faut » (Paragraphe 46).

Les mots sont de peu de valeur car ils sont « charnels » et ne renvoient qu’à la lettre qui tue alors que l’esprit vivifie. Mais pour n’avoir que peu de valeur ils n’en sont pas, pour autant, sans valeur et certains sont plus signifiants que d’autres. Dès lors, en ce contexte, quelle langue enseignante pourrait être trouvée afin de permettre de faire signe, i-e enseigner ?

Les dernières conclusions de cette recherche nous ont précisément montré que ce langage enseignant était étroitement lié à ces valeurs qui se chevauchent et se mêlent parfois : celles de l’enseigné qu’il importe de prendre en compte, celles de l’enseignant qu’il ne faut ignorer, celles des différents modèles d’enseignement qui doivent parfois se concilier, celles des mots qu’il faut choisir soigneusement et celle enfin d’une temporalité exigeante qu’il faut respecter lorsque nous désirons dévoiler une pensée.

Enseigner dans l’hétérogène c’est aussi, peut-être et sans doute, tenir précisément compte de cette multiplicité de valeurs qui se croisent. Cette pluralité, qui était mise en évidence au début de notre travail, est peut-être constituée par une pluralité de valeurs plus qu’une différence de situations ou de personnes.

Cependant, enseigner c’est aussi conjoindre, or comment y parvenir face à cette diversité qui s’est révélée plus complexe que nous ne le pensions ? Notre question initiale revient à nouveau.

Pour ce faire, un mot peut-être pourrait ici être hasardé. Il renvoie à cette science qui enseigne précisément le respect et la conciliation des valeurs : l’éthique ou la vertu. Mais comment la définir ? Aristote nous indique - dans la trop célèbre formule de l’Ethique à Nicomaque - qu’elle serait un « juste milieu par rapport à soi », une excellence.

La langue n’enseigne donc que si elle est dans le juste et le milieu. Aristote nous indiquerait ici « l’arété » ou l’excellence. Ce milieu n’est donc pas un « ventre mou » ; c’est au contraire celui qui conduit vers les hauteurs qui seules peuvent rassembler le divers et permettent de réunir.

N’enseigne peut-être qu’un discours qui parvient à se faire entendre dans le concert disharmonieux des valeurs et qui découvre ainsi le moyen de garder la direction voulue pour se hausser vers les aspects les plus élevés de la matière. N’enseigne peut-être que ce qui élève son prochain et qui maintient ainsi les différences, les rejoint à d’autres sans les ignorer. Mais comment appliquer en fait cette justesse de droit ?

Qui pourrait ici avoir l’outrecuidance de clore le débat ? Proposons simplement ici une métaphore, celle d’une assimilation de ce milieu à un « cap ». Tel le navigateur de l’éthique à Nicomaque, l’enseignant se doit de prendre les décisions qui s’imposent lorsqu’elles s’imposent et suivre sa route au milieu de ces valeurs qui s’affrontent parfois les unes aux autres en gardant le cap qu’il s’est fixé.

Ce cap le conduit vers les autres mais également vers lui-même et trouver le point qui les réunit implique peut-être préalablement d’avoir croisé le chemin qui le rejoint à lui-même. Ce lui-même, Augustin l’appelle l’homme intérieur. Il peut être donné et si l’on ne parvient pas à y croire, il doit, selon nous, être construit pour permettre de découvrir des solutions propres aux problèmes que nous rencontrons.

Reste à trouver la route qui y conduit. Qui pourrait ici également proposer des réponses définitives ? Notre époque, comme le dit Mr. Gourinat, n’admet plus les philosophies univoques. Indiquons simplement que, selon nous, cette route, si route il y a (Augustin a eu raison de le souligner et sa vie en témoigne), doit être droite mais il reste cependant à se demander ce qu’est le droit et cette question mérite d’autres analyses.

Jean-Jacques SARFATI
Paris Mai 2005








Notes

(1) J.-C. Fraisse, Bulletin de la société philosophique de Bordeaux, n° 89.
(2) G. Madec, Analyse du De Magistro : Revue des études augustiniennes, 1975, n° 21, p. 63-71.
(3) Théologiens et mystiques du Moyen Age : Folio, p. 84.
(4) B. Jolibert, Introduction in édition Klincsieck 2003 sur laquelle nous avons travaillé. 
(5) H. I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique : Paris, 1938, Ed. De Boccard p. 299-327.
(6) H.I. Marrou, Ibid, p. 305.
(7) H. Arendt, Le concept d’amour chez Augustin : Ed. Rivages. Elle écrit ainsi p. 8 « Interpréter (chez Augustin) c’est souvent rendre explicite ce qu’Augustin ne dit qu’implicitement », Traduction A. S. Astrup.
(8) E. Gilson, Introduction à l’étude de Saint Augustin : VRIN, 2ème éd. 2003, p. 65.
(9) H.I. Marrou, précité.
(10) J.-C. Fraisse, St Augustin.
(11) H. Arendt, précitée, p. 8.
(12) Voir la critique que Russell fait de la philosophie de Wittgenstein in Histoire de mes idées philosophiques : Ed. Tel Gallimard.









20 octobre 2006

Comment penser l’éducation de manière liée

Comment penser l’éducation de manière liée  ?
(enfance, démocratie et autorité)


A la suite d’Arendt, de nombreux penseurs ont évoqué une « crise de l’éducation » ou de l’autorité en milieu scolaire et ils ont lié cette difficulté aux exigences de la démocratie ou de la modernité. L’éducation est une des relations que l’adulte peut entretenir avec l’enfant. Cependant, des adultes en « crise » peuvent-ils réellement prétendre former des enfants sains et peut-on, sans danger, lier la crise de l‘éducation à la modernité ou la démocratie ?

Nous ne le pensons pas. Ce que nous entendons démontrer ici est que, si la démocratie implique des exigences qui doivent être prises en compte pour adapter nos méthodes pédagogiques, elle n’est nullement cause d’une crise quelconque.

Au contraire, nous considérons que nous ne parviendrons pas à résoudre la « crise » éducative actuelle si, d’une part nous ne trouvons pas de réponse liée à ce problème ; si, d‘autre part, nous considérons que la démocratie n‘est pas la cause de cette « crise » mais une donnée incontournable qu’il s’agit de reconstruire perpétuellement à partir de la relation éducative et si, enfin, nous n’admettons pas que c’est l’absence de vie démocratique réelle qui est la cause de nombre de nos difficultés.

La démocratie « réelle » est, selon nous, celle qui parvient à prendre en compte les intérêts de tous. Elle ne postule pas une vérité au détriment d’une autre sauf si cette vérité est indiscutable. Cette « démocratie » réelle implique le droit de s’exprimer pour chacun. Elle exclut donc, comme Rawls l’a montré, la domination d’une minorité par le plus grand nombre ou l’inverse sauf si cette minorité défend une vérité juste au sens du groupe. Elle donne le droit aux enfants,comme aux adultes de s’exprimer,à ceux qui savent tout comme à ceux qui ne savent pas, de vivre pour ce qu’ils estiment digne. En revanche, la démocratie réelle s’oppose à la « démocratie idéelle ». Elle ne considère pas que chacun possède toujours en lui les moyens d’exprimer sa propre vérité et elle admet quelques inégalités en ce domaine. Cependant, elle ne fixe aucun dogme et suppose que la minorité qui sait n‘est jamais définitivement savante et que ces droits sont liés aux devoirs qui sont les siens.

La démocratie « réelle » croit donc à la vérification et à la justification contre le dogmatisme. Certes, elle appartient en un sens - et pour les cyniques - à une utopie mais elle se considère - et cette affirmation n’est pas paradoxale - comme une utopie possible.  Elle croit en la totalité contre le totalitarisme. La totalité c’est le lien entre les hommes et le fait que le vrai ne se postule pas mais qu’il résulte d’un échange entre chacun d’eux. Or la totalité ne peut s’opérer sans des réponses liées.

Une réponse liée est un ensemble de solutions données pour résoudre un problème. Elle suppose ces solutions coordonnées les unes aux autres et cohérentes les unes par rapport aux autres. Si le lien est préférable en tout, il nous paraît indispensable dans la relation pédagogique et en démocratie.

En effet, la démocratie n’est pas possible sans lien. Elle est le régime de la vérité exprimable par tous ; or une vérité ne peut être écoutée si celui qui la dit est trop éloigné de nous. De plus, elle est le régime qui permet d’explorer toutes les vérités et n’en suppose aucune acquise. Elle implique donc recherche continuelle mais elle ne doit privilégier aucun axe de travail au détriment des autres. Il lui faut écouter tous les points de vue mais elle ne postule pas que tous les citoyens savent. Elle sait hiérarchiser ces points de vue.

Elle implique simplement que ceux qui s’expriment sont tous des « sachants » en puissance, que c’est cette puissance qu’il importe de mettre en œuvre en usant de tous les moyens possibles et que les plus informés ont le droit de transmettre leur savoir aux autres à la condition que ces savants puissent s‘informer les uns les autres, sans frontières.

L’enfant -si nous acceptons que l’enfance existe - n’étant  pas en principe formé donc n’étant pas « mesuré » est  - quant à lui, dans des logiques de l’extrême. L’enfance et l’extrême font d’ailleurs souvent « bon ménage ».
Pour le « jeune être » qu’il est le « lien » est nécessaire. Il le recherche en l’adulte car il n’a pas les moyens de le construire par lui-même. Il le réclame car il est attentif à la moindre des incohérences de ce dernier. Il attend « tout » de l’adulte et malgré ses bravades, l’enfant croit encore en un absolu qui peut le rendre moins tolérant à l’égard de celui qui prétend le former. Il supporte moins la faute et cela explique pourquoi il en commet. Son manque de « foi » en lui commande ses actions et implique le besoin de fondements clairement définis. La représentation qu’il a de lui-même est encore incertaine et pour cela exige des attitudes sans ambiguïté de la part de ceux avec qui il est en relation. 

De plus, une action « liée » lui offre des repères solides. Elle ne le déçoit pas et lui donne une certaine foi en lui-même. Si, en effet, un adulte -en général et par indifférence ou charité - ne nous tient que peu rigueur d’être en contradiction dans notre démarche, l’enfant, plus sensible et plus « idéaliste », a tendance à voir dans tout décalage une trahison et nul n’écoute ceux qui le trahit ; or il est incohérent de prétendre éduquer un être qui ne vous écoute pas.

Mais que faut-il lier ? Tout, aurions-nous envie de répondre et c’est bien la difficulté du projet proposé : la théorie et la pratique, l’autorité et la loi, la loi et sa mise en œuvre, les lois entre elles, les différentes approches du sujet et surtout la démocratie, la tolérance envers l’autre et l‘école. Reste à trouver les moyens de créer ces liens et les lier entre eux. Pour y parvenir, il importe de trouver une méthode de recherche qui serait liante en ce qu’elle n’ignorerait ni les exigences de la démocratie réelle, ni celles de la modernité et du savoir possible. Cette méthode passe par un double refus. 

***
La méthode de recherche : le double refus des couples extrêmes

Dans ce premier moment de notre travail, il s’agit de déterminer un fil conducteur afin de guider notre recherche et, pour ce faire, proposer que celle-ci trouve un chemin entre deux couples d’extrêmes : le cynisme et l’idéalisme d‘un côté (premier « couple » d’opposés) ; le « démocratisme béat»   et la « méfiance démocratique »  de l‘autre (second couple de contraires).

a )Refuser le couple: cynisme/idéalisme.

En matière de pédagogie, le cynisme est fréquent mais peu avoué. Il suffit pour s’en convaincre de lire des témoignages d’enseignants sur le sujet. L’enseignant n’aurait, selon certains, pas d’autres alternatives que celle de se taire ou de trouver les moyens de survivre face à des classes elles-mêmes désabusées et tristes (Milner 1999). Il serait impossible de penser la pédagogie, tout ne serait qu’affaire d’urgence et de gestion des intérêts égoïstes.
A la question : « pourquoi enseigne-t-on ? », le cynique répondra au mieux : « parce qu’il existe des écoles et qu’il faut bien des enseignants pour les remplir », au pire parce qu’il faut « dresser la majeure partie de la population pour qu’elle serve les intérêts d’un petit nombre». (Reymond 1999).

Le cynisme - outre ses contradictions internes telles celle de croire en une philosophie (le cynisme) alors pourtant que celle-ci enseigne qu’il ne faut croire en rien- ne nous paraît nullement acceptable en l‘occurrence. En effet, une telle philosophie ne nous place guère en situation favorable pour trouver des solutions à la « crise » de l’éducation.

De plus, tel le scepticisme, elle favorise plus le désespoir qu’elle ne le guérit car si nous n‘avons rien à apprendre, si toutes nos vies ne reposent que « sur du sable », l‘enseignement reste vain et tout ce qui a été autrefois construit peut-être détruit, ignoré.

Or la vie d’un homme est trop brève, les beautés du passé trop nombreuses, les incertitudes de l’avenir trop grandes,la difficulté d’une remise en cause totale de l’éternel trop aléatoire, notre capacité de savoir trop faible pour que nous puissions ainsi nous passer des leçons du passé et de son lien au présent et à l‘avenir. 

Cependant s‘il doit être rejeté pour ses imperfections, le cynisme ne peut être totalement méprisé car cette philosophie est une antidote sérieuse à l’autre mal qui ronge le pédagogue : l’idéalisme.    

Sur les questions pédagogiques, l’idéaliste a - comme toujours et quant à lui - une réponse absolue à tous les problèmes. Il pense que l’éducation peut véritablement permettre de « façonner un nouvel homme », préparer notre société à « affronter les difficultés de l’avenir », construire « l’homme universel et rationnel de demain » etc…

L’idéalisme ne nous paraît guère plus acceptable que son opposé. Il suppose, en effet, que notre monde a tout résolu, qu’il sait tout et qu’il peut ainsi tout transmettre à l’enfant sans que celui-ci ait un message original à nous transmettre.

Il ignore que l’enfant est appelé à vivre dans un monde qui sera différent pour partie de celui de l’adulte et que ses préoccupations divergent des siennes sur ce point. Il ne veut donc pas reconnaître qu‘il existe - si ce n’est un « monde de l’enfance » - au moins une préoccupation de l’enfant qui diffère de celle de l’adulte en ce que celle-ci est inconsciemment plus prospective, plus tournée vers l’avenir que celle de ses aînés mais en même temps nécessairement plus confuse car moins en phase avec le langage et ses propres sentiments. 

De plus, l’idéalisme suppose l’existence de la transcendance ou, à tout le moins, de l’éternité or celle-ci n’a jamais été démontrée - ni réfutée - de manière certaine et absolue. En tout état de cause, celle-ci n’est affaire que de foi. Elle est donc intime et personnelle.

Cependant, malgré le fait que cette philosophie impose à tous, indépendamment de la foi de chacun, l’idée d’une ou plusieurs « essences » envisageable hors de toute contingence, l’idéalisme présente un avantage : cette philosophie donne un espoir, elle suppose que l’existence de chaque adulte( voire de quelques uns d’entre eux au moins) a été utile, que des découvertes ou des élaborations peuvent bénéficier aux générations suivantes.

D’une manière générale, l’idéalisme nous détache donc du temps. Il nous laisse croire que la vie n’est pas toujours vaine, qu’elle n’est pas seulement dictée par l’éphémère et le présent, qu’elle peut créer une beauté intemporelle, qu’elle peut permettre de recueillir un certain savoir sur le passé, le présent ou un avenir (même rationalisé) qui peut bénéficier aux générations suivantes.

L’idéalisme donne donc de l’espoir car il permet à ces enfants de croire qu’ils pourront également acquérir, construire, créer et que leurs créations ne seront pas toujours victimes de la temporalité de l’existence ; qu‘elles ne seront pas éphémères comme nos vies.

L’idéalisme donne donc la sécurité - celle d’une possible éternité -  parfois nécessaire pour aider à construire des fins. Or l’espérance d’une fin possible et dégagée du temps ou de l’espace accroît le nombre d’actions motivées et motivantes et la qualité de celle-ci.

Mais à trop éclairer l’avenir, l’idéalisme peut finir par nous illusionner sur notre sort. Il présente donc  également un  autre inconvénient : à trop haute dose, il peut nous laisser croire que cette éternité est la règle alors qu’elle n’est qu’une exception elle-même, tout aussi hypothétique(pour certains) que la non-existence de l’éternel. Il peut nous éloigner des « réalités » concrètes de l‘existence,confondre la raison humaine et la raison « divine », si elle existe. Il peut ainsi tout autant aider à construire que détruire et conduire l‘homme à se prendre pour Dieu alors qu’il n’est qu‘homme.

Le pédagogue ne doit donc pas oublier cette leçon et afin de croire en lui sans trop y croire, il lui importe donc de n’être, selon nous ni cynique ni idéaliste.

En effet, lorsqu’il œuvre en démocratie, le « professeur » vit dans un monde où tous les savoirs, toutes les vies se valent, il lui faut donc plus qu’en tout autre régime ne jamais se couper de ceux à qui il enseigne, ni de lui-même car l’illusion du pouvoir y est moins forte qu’ailleurs. En d’autres termes, l’enseignant en démocratie a certes perdu une part de la domination incontestable qu’il impose aux autres (dans les  régimes plus sévères) mais il a gagné une proximité qui fait disparaître l’illusion. Il peut ainsi permettre la mise en oeuvre de véritables liens à la condition que la rupture - entre lui-même et l’enseigné - ne soit pas trop conséquente.

En démocratie, le pédagogue ne doit donc pas, selon nous, se laisser désespérer par le manque de ces illusions et de ces « pompes » qui entourent les régimes non démocratiques. Cette absence est une force qui peut lui permettre de mieux penser le lien; or l‘intelligence a à faire avec le lien et la globalité. Il ne peut s’opérer si aucun effort n’est effectué pour tenter de lier le réel et l’idéal. Pour y parvenir, il doit donc combattre tout ce qui illusionne en trompant. Or le cynisme et l’idéalisme portent en eux des illusions trompeuses en ce qu‘elles éloignent du possible.

L’enseignant doit donc transmettre sans donner l’illusion trompeuse du savoir mais il ne doit pas pour autant se désillusionner. Il lui faut agir en maintenant des liens réguliers qui se nouent les uns aux autres pour former d‘autres liens. Mais comment le pourrait-il ?

Ce dernier est, en effet, marqué par le présent. Son savoir le porte vers un passé et un avenir rationalisés. Son existence le contraint à vivre dans une contingence distincte de celle de l’enfant. S’il veut transmettre une part de ce présent et de ce « passé » à l’enfant, il lui faut trouver un point médian, un axe qui rassemble. Il convient d’utiliser un langage qui ne condamne ni cet « avenir enfantin » ni ce présent et ce passé qu’il importe de léguer aux générations qui suivent.

Il doit donc tout autant croire en son savoir qu’en celui de l’enfant et pour autant savoir que ces connaissances peuvent n’être qu’illusions. S’il est un paradoxe et une crise de l’éducation c’est bien celle-ci et elle n’a que peu à faire avec la démocratie. Elle concerne plus spécifiquement la relation de l’homme au savoir. Mais comment résoudre cette douloureuse équation ?

Pour ce faire, le pédagogue peut laisser la parole libre. Cependant, cette liberté ne doit pas être « idéelle ». Elle doit tenir compte des différences indépassables qui existent entre lui et l’enfant ; il lui importe donc d‘éviter un autre couple d’extrêmes.


b) Refuser le second couple d‘extrêmes: la méfiance démocratique/ le démocratisme béat.

Notre relation à la démocratie n’est pas indépendante de cette « crise », nous l’avons vu, mais qu’est-ce qui dans notre lien à la démocratie fait obstacle à la pédagogie la plus efficace et la plus juste qui puisse être ? 

La relation à la question démocratique crée deux attitudes qu’il faut, selon nous, écarter : la première se nomme : « méfiance démocratique ». Elle consiste essentiellement à expliquer la « crise » de notre système scolaire par le régime démocratique. Cette posture ne doit pas nous guider dans nos recherches. Elle s’approche, en effet, d’un certain cynisme philosophique et détruit l’espoir démocratique plus qu’elle ne le fonde. Cependant comme tous les extrêmes évoqués,elle ne peut être totalement méprisée car elle nous éclaire parfois sur des illusions qu’il importe d’éviter.

La seconde « dérive » s’appelle,selon nous, « le démocratisme  béat ». Elle suppose que la majorité a toujours raison et que la loi de la majorité doit être la première loi de l’éducation et, ce au détriment d’un certain savoir.
Elle doit être écartée car elle confond démocratie réelle et démocratie idéelle. Elle suppose que l’avenir seul doit être pris en compte dans une relation d’enseignement et nie ainsi les liens qui pourraient exister entre cet avenir et le passé. En revanche, elle ne doit guère - comme les précédentes doctrines évoquées - être totalement ignorée car elle constitue une antidote réelle à l’encontre de ceux qui voudraient ignorer les nécessités de notre modernité et la parole de l’enfant. Examinons ces deux « dérives ».


1° La méfiance démocratique, pourrait se décomposer en trois doctrines : la méfiance morale, historique et politique. La méfiance « morale » insiste sur le leurre démocratique et les illusions que la modernité a fait naître ; la méfiance historique met en évidence les « pertes » de notre modernité dans notre relation à l’enfance . Quant à la méfiance politique démontre les liens entre la démocratie et les difficultés d’enseigner dans la modernité.

La méfiance «morale » : Sans prétendre ici réduire à ce seul point, une pensée féconde dont nous avons par ailleurs( Sarfati 2004) tenté de mettre en évidence toute la richesse, il nous semble que la philosophie développée par Michel Foucault dans son maître ouvrage « Surveiller et punir » soit une bonne illustration de cette méfiance.
Foucault, nous le savons, accuse la modernité d’avoir « quadrillé » la société et d’avoir utilisé l’enseignement comme moyen de  ce «quadrillage » à partir du dressage régulier des corps et des esprits (des corps plus que des esprits d’ailleurs pour Foucault qui évoque que selon ces doctrines « l’âme devient prison du corps »).
L’éducation démocratique ne serait donc qu’un alibi, un autre outil de cette philosophie de la « surveillance » qui caractériserait notre modernité.

Cette critique « morale » foucaldienne ne nous paraît pas devoir être retenue car la république en massifiant l’éducation a néanmoins permis de démocratiser le savoir et en le démocratisant de l’ouvrir, de le faire progresser et en même temps d’améliorer de manière notable le sort des plus démunis. Mieux valait vivre dans la France de la Troisième république que sous le potentat ottoman du début du vingtième siècle ou sous les régimes totalitaires de la même époque. Il faut donc faire crédit aux démocraties de leur souci éducatif et ne pas leur faire un trop rude procès.

De plus, admise sans recul, une telle philosophie contient une désespérance démocratique qui nous paraît périlleuse en des temps où la démocratie même est en danger, attaquée de toute part, contrainte de se défendre face à des « ennemis » qui lui refusent le droit à l’existence et veulent introduire à sa place des totalitarismes plus périlleux que les illusions qu’elle véhicule parfois au bénéfice de quelques uns.

Cependant, la thèse foucaldienne ne doit pas pour autant être tout à fait écartée. Foucault est le philosophe de la dénonciation. Il entend avant tout nous protéger contre ceux qui nous trompent et qui,sous couvert, de la démocratie ont renforcé le pouvoir de quelques uns au détriment du plus grand nombre. La démocratie c’est le règne du droit, nous rappelle Foucault or le droit peut culpabiliser, il peut aider à la reproduction d’une élite, au conservatisme et donc à la négation de la démocratie réelle qui suppose au contraire que le savoir et le pouvoir ne sont jamais tout à fait acquis et que le doute, ou l’ouverture - comme le dira Popper - restent toujours les données essentielles d’une société« ouverte ».

La critique foucaldienne ne porte donc pas en elle que des illusions. Elle peut également constituer un outil utile pour démasquer certaines de celles que l’on entretient au détriment de la véritable démocratie. 


La méfiance historique : l’évolution historique peut expliquer bien des crises. Certains auteurs ont ainsi soutenu qu’en se construisant au fil du temps, la modernité a élaboré un modèle éducatif qui a lui-même peu à peu créé des ruptures dont nous ne nous sommes pas tout à fait remis et ces ruptures mal acceptées ont provoqué des crises.

Ces fractures ont été mises en évidence par Philippe Ariés. On se souvient des deux grands axes de la recherche historique de cet auteur. En effet, dans «l’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime », ce dernier soutient que notre modernité peut se distinguer d’une part, par le retrait à la famille de la responsabilité éducative de l’enfant et d’autre part par l’intérêt constant de la modernité pour l’enfance ; intérêt qui a insidieusement conduit à une aggravation du gouffre séparant l’adulte de l’enfant, lui-même à l’origine de la crise actuelle. Comment nous positionner face à ces thèses ?

Il est indéniable que notre modernité accorde plus d’importance à l’éducation scolaire qu’à l’éducation par la « famille » au sens large du terme et que ce retrait explique peut-être quelques difficultés et démissions que nous déplorons.

Cependant, cette coupure nette entre « modernité » et « monde des anciens » ne peut être retenue en totalité. En effet, comme en témoigne Alain Boyer (Boyer 2002 et 2004) cette discontinuité entre les deux mondes peut être réinterrogée. De plus, les auteurs nous confirment que la pédagogie n’est pas un souci exclusivement moderne.

La « République » de Platon, est, comme Rousseau l’a justement souligné, un ouvrage de pédagogie. De plus, il suffit de lire « Le Livre des Proverbes » pour noter le nombre conséquent de « conseils pédagogiques » inclus dans ce texte. De tous temps, les civilisations - dès lors qu’elles faisaient preuve d’une culture appréciable - se sont souciées de l’éducation de leurs enfants.

Cependant, de même que la thèse « foucaldienne », la « philosophie » de Ariés ne doit-elle pas être tout à fait ignorée. Elle nous rappelle en effet certains excès de la modernité. Elle nous indique que celle-ci a peut-être trop écarté l’enfant de la famille et des métiers. Elle nous précise qu’une réflexion « liante » sur le sujet ne pourrait tout à fait penser l’enfant sans l’adulte et l’éducation de ceux-ci sans les problèmes conjoints qui sont liés à elle.

Elle nous incite également à adopter une certaine méfiance à l’égard de ceux qui voudraient restaurer l’autorité trop entière à l’école car, ainsi que Tocqueville nous l’a rappelé, la démocratie peut faire naître un monstre : celui d’un Etat trop paternel qui déresponsabiliserait chacun et se préoccuperait du sort de tous en niant les singularités. Or trop d’autorité étouffe la singularité. De plus l’autorité renforce les pouvoirs de ceux qui en disposent. Or si par le biais éducatif, aucune limite n’est pensée relativement à l’autorité du maître et si les familles, si les associations ne sont pas restaurées, les groupes non protégés, c’est cette démocratie même qui peut finir par disparaître ou se laisser absorber par un groupe au détriment de tous les autres. Une pensée globale sur l’éducation ne doit donc pas ignorer ces incidences.      


La méfiance politique  Dans la lignée de Platon et( dans une certaine mesure) de Tocqueville, des auteurs ont cherché à expliquer la « crise de l’éducation » par l’essence de l’homme démocratique. Hannah Arendt dans « la crise de la culture » reprend cette critique de manière plus nuancée, il est vrai, en plaçant la modernité au centre de ses réflexions.

Après avoir fustigé les méthodes « modernes » d’éducation essentiellement tournées vers le « faire » (il semble ici qu’elle vise notamment les thèses de Piaget), cette auteur explique la crise de l’éducation de la manière suivante : « Dans le monde moderne, écrit-elle, le problème tient au fait que, par sa nature même, l’éducation ne peut faire fi de l’autorité ni de la tradition et qu’elle doit s’exercer dans un monde qui n’est pas structuré par l’autorité, ni retenu par la tradition ».( Arendt 1972).

En d’autres termes,pour Arendt, l’éducation, a besoin, par nature d’autorité. Cependant, les démocraties ne supportent pas celle-ci. En conséquence, une crise se produit car le nécessaire devient impossible et l’impossible provoque une crise car sa non-réalisation sape les fondements mêmes de la relation pédagogique. Enfin, Arendt lie cette crise de la démocratie à la crise de la tradition et du religieux.

Nous ne pouvons adhérer à cette pensée, certes subtile, et ce pour trois raisons : a) comme en témoignent tous les biographes d’Augustin,qu’Arendt connaissait parfaitement, nous savons que l’auteur des « confessions » eut lui-même à souffrir de la médiocrité du système éducatif de la fin de l’Empire Romain pourtant lui-même peu susceptible d’être taxé de laxisme en matière d’autorité ; b) la question de la relation délicate entre modernité et éducation a, dès l’origine, été pensée par les auteurs de la « modernité ». Locke dans l’ouvrage qu’il a consacré à cette question insiste sur la nécessité, pour le maître , d’obtenir « une soumission complète ( des enfants) à leur volonté… ».  Mais pour Locke, l’autorité doit essentiellement être morale  et pour lui, elle n’implique pas une force car (Section III.Locke ) «  des châtiments trop sévères ne  font pas beaucoup de bien et font au ontraire  beaucoup de mal » en ce qu’ils habituent l’enfant à une soumission trop grande. Kant, dans ses réflexions sur le même sujet, en vient à des conclusions analogues lorsqu’il nous recommande de ne pas sanctionner l’enfant trop durement mais parfois de lui exprimer notre mépris lorsqu’il commet une faute. Les « lumières » ont donc le plus rapidement cherché une « troisième voie possible » entre le laxisme mou des démocrates idéalistes et l’intolérable sévérité des méthodes pédagogiques d’ancien régime. c) Enfin, comme le rappelle le « Livre des Rois » , la « tradition » n’a jamais ignoré la question de la démocratie. Elle l’a même toujours plébiscité puisque le schisme entre Israël et Juda - cause partielle de la perte des hébreux - y est notamment expliqué par le refus des descendants de Salomon de laisser une place au peuple et - incidemment - par la volonté des rois d‘installer un pouvoir autocratique.

En conséquence, la crise de l’éducation ne saurait exclusivement trouver sa source dans le système  démocratique car d’une part, les régimes violents souffrent tout autant - si ce n’est plus - d’une école de piètre qualité et d’autre part, la modernité a toujours cherché (au moins pour ses principaux penseurs) à concilier une autorité acceptable et une liberté nécessaire. Enfin, la difficulté d’harmoniser autorité du pouvoir et démocratie est une problématique ancienne.  La méfiance « démocratique » ne peut donc être tout à fait admise. Mais celle-ci ne doit pas pour autant faire place à un « démocratisme  béat » contre lequel elle crée un antidote non négligeable. C’est ce « démocratisme » qu’il nous faut cependant interroger à présent.


1° Le « démocratisme béat »

En lisant Foucault, Arendt et Ariès, nous pouvons aisément dessiner en quelques traits ce que pourraient être les grandes lignes de cette doctrine. Etre démocratiquement « béat » consiste à se refuser d’interroger toutes nos procédures dites démocratiques (notamment en matière de sélection des enseignants, d‘autorité de ces derniers, de formation, etc…) et à les tenir pour justes sous prétexte qu’elles seraient établies par le « droit » . Or le « droit » , nous le savons n’est pas le juste. Il peut parfois masquer des procédures qui favorisent la reproduction d’une élite au détriment des autres et il peut introduire une distorsion dommageable entre le « savoir réel » et le « savoir affirmé ou reconnu ».

Or si la démocratie « réelle » admet le pouvoir de certains, le droit d’éduquer à d’autres, ce pouvoir est nécessairement subordonné à un savoir(lui-même) « réel » et il ne doit pas cautionner un savoir illusoire (qu’il ne faudrait pas nécessairement confondre avec culture) ou qui reposerait sur des fondements qui ne pourraient être réinterrogés loyalement. 

Le démocrate « béat » ignore également que la démocratie peut créer des distorsions à l’intérieur de l’individu et ne pas l’être implique également une écoute attentive à toutes les logiques dites « traditionnelles » dont l’individu peut aussi parfois avoir besoin pour se construire et se lier. Or la démocratie réelle, ne peut se construire sans lien et le lien entre les citoyens ne peut s’opérer s’il n’est pas laissé à chacun le droit de se construire en respectant les traditions qui sont les siennes à la condition qu’elles ne heurtent pas les principes de cette démocratie réelle qu‘il s‘agit d‘élaborer.

Enfin le démocrate « béat » pense que la majorité a toujours raison et que l’enfant a le droit de « tout dire » et « tout faire ». Or cette démocratie est illusoire. Elle nie même la nature du concept  d’éducation qui implique en lui-même : décalage et inégalité entre l’enseignant et l’enseigné. Or un surcroît de légitimation doit être reconnu à celui qui dispose de cette supériorité. En effet, si le droit n’est pas le juste, nous savons que le juste n’est pas nécessairement l’égal.

En conséquence, la démocratie béate ne doit pas être notre projet. Elle doit, au contraire, être l’un des écueils qu’il nous faut éviter. Il ne faut cependant guère plus l’ignorer que la thèse qui la contredit car les idées des démocrates « béats » nous rafraîchissent parfois. EIles nous rappellent les incohérences mêmes de notre système. Elles viennent fréquemment au secours d’un enfant qui est souvent plus ignoré qu’on ne le dit. Elles nous demandent de faire preuve d’inventivité et de courage pour accepter de rencontrer l’autre. Cet apport en soi ne peut donc être méprisé.

Notre méthode de pensée doit donc tenter de trouver une « voie moyenne » entre ces deux couples d’extrêmes mais elle doit faire en sorte de ne jamais ignorer les leçons qu’ils nous proposent de méditer. En matière éducative, il nous faut donc trouver les moyens d’installer un idéalisme du possible ou un réalisme idéaliste. Il nous faut tenter de résoudre le paradoxe éducatif par l’instauration de ce paradoxe même que constitue l’utopie possible.

Cette voie ne peut être trouvée, selon nous, si nous ne nous proposons pas d’interroger à nouveau les fins de l’éducation. Pourquoi enseignons nous et surtout quels buts proposer à l’enseignement dans un système démocratique et ce afin que ni l’enfant ni le professeur ne retombent dans l’idéalisme, le cynisme, une méfiance démocratique ou un démocratisme béat ?

En d’autres termes, quelles directions proposer aux enfants afin qu’ils harmonisent les données de chacune de ces théories pour construire, à partir de l’éducation, cette démocratie réelle « malgré » et avec des adultes auxquels ils doivent être liés sans être enchaînés pour autant ?


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Quelles fins possibles pour l’éducation en démocratie ?

Notre projet ici est de trouver des méthodes « liantes », des options qui ne mettraient en péril ni l’idéal, ni le réel et qui tenteraient de les concilier l’un et l’autre. Pour y parvenir, nous pouvons engager notre réflexion à partir du possible. Ce concept présente, en effet, l’avantage d’offrir une jonction entre le souhaitable et le réel.

Ce qui est possible n’est pas encore - il n’est donc pas le seul reflet des plats intérêts du moment - mais n’est pas « impossible », en ce sens qu’il se propose des fins qui pour n’être pas réelles sont peut-être réalisables. Mais comment trouver de telles fins ? Pour y parvenir,nous pouvons tenter d’exclure celles qui, précisément, penchent trop vers l’extrême : les fins trop « idéalistes »,« trop cyniques » ou trop positives pour ensuite tenter de réfléchir sur la possibilité même de ce « possible » éducatif.


a )Les fins trop ambitieuses ou trop cyniques.

Certains soutiennent que nous prolongeons actuellement la période scolaire des adolescents pour éviter « que les chiffres du chômage ne gonflent… »(Reymond 1999). Bien que triviale, une telle explication cynique est suffisamment répétée pour mériter d’être rappelée et écartée. Tout législateur consciencieux doit au contraire se rendre à l’évidence que le prolongement des études est sans effet sur le chômage et, qu’au contraire, à trop vouloir imposer l’éducation pour tous, c’est l’éducation et les pratiques intellectuelles qui sont remises en cause.

Tout un chacun n’est pas nécessairement fait pour être penseur, cadre ou dirigeant d’entreprise. Certains sont plus doués de leurs mains,d’autres plus doués pour le « commerce » ou l’artisanat. Les dernières professions nommées exigent des stages, des apprentissages plus que de longues études théoriques. En revanche, ces adolescents ont besoin d’une éducation permettant d‘épanouir leurs facultés intellectuelles et morales, faciliter leur intégration au groupe plus que d’une pédagogie aveugle qui ignore à quelle(s) fin(s) elle(s) œuvre(nt).

Ils ont également besoin que leurs métiers soient revalorisés, qu’ils soient considérés mais il leur faut également admettre que tout ce qui est « intellectuel » ou de l’ordre de la recherche n’est pas nécessairement « inutile » comme ils le soutiennent parfois avec une certaine candeur. Ces adolescents ou enfants ont donc, besoin (comme nous tous) de s’accepter et de s’exprimer. L’école doit donc leur en laisser le moyen. Celle-ci doit-elle, dès lors, être le lieu de l’apprentissage d’une certaine « transcendance » ?

Tel est bien le projet d’Augustin. Dans son « De Magistro », celui-ci souhaite que l’enseignement ait  pour but de révéler à l’élève son Maître Intérieur, sa vérité, elle-même dictée par une transcendance. Cependant, même si l’auteur de la « Trinité » estime que la rhétorique et les « civilités » ne doivent pas être exclues d’un enseignement traditionnel et juge qu’une telle ouverture au divin n’est possible que si la foi précède la révélation, son projet ne peut,dans une démocratie laïque telle que la nôtre,  être retenu.

D’ailleurs, si un tel programme était mis en œuvre, il n’est pas assuré qu’il ne se retournerait pas contre ses auteurs en conduisant plus à une « haine » du divin qu’à un amour de celui-ci. Alors faut-il que l’école véhicule la religion de la science et de la raison ?

Tel était le projet des lumières en leur souci de former un « homme universel » ou « vertueux ». Mais celui-ci ne nous paraît guère plus préférable que le précédent en ce qu’il peut également provoquer la haine de cette raison universelle que l’on prétend enseigner mais surtout en ce qu’il paraît difficilement résister à la célèbre objection que Socrate adressait à Ménon ( Ménon 98 e).
Nous savons en effet, que le maître de l’auteur de la République reprochait aux sophistes de vouloir enseigner la vertu sans même pouvoir la définir, ni être assuré qu’il puisse y avoir des « maîtres » en ce domaine.

En conséquence si les maîtres extérieurs n’existent pas et si la découverte d’un Maître Intérieur ne dépend pas de l’enseignement et risque d’éloigner de celui-ci ou au pire de nous en donner une vision trop dogmatique  ; quelle(s) fin(s) possible assigner au pédagogue ? L’enseignement ne devrait-il répondre qu’à de simples soucis pragmatiques ou positivistes ?


b) Les fins positives : Certains rapports politiques se proposent de fixer comme but à l’enseignement la « réussite du plus grand nombre d’élèves ». Mais cet objectif ne paraît guère être de nature à satisfaire notre recherche téléologique. Il semble exprimer une exigence d’efficacité et non pas permettre la mise en œuvre d’un véritable projet social commun pour l’éducation. Car enfin, réussir pour quoi et dans quel domaine ? L’acquisition d’un socle « minimum commun » peut-il à lui seul valoir projet pour notre éducation ? La culture en elle-même peut-elle être une fin en soi et qu’est-ce qui nous interdit (comme le faisait récemment Pierre Manent) de placer la redécouverte de la ou sa « nature » au centre de la pédagogie, la culture devenant un moyen pour réaliser cette fin ?

Devons-nous nous limiter à cette « nature » et aider à sa découverte, à son « désenfouissement » ? D’aucuns - moins ambitieux, mais bien plus critiques pour autant - (Desjardin 1999) proposent semble-t-il une telle fin puisqu’ils ne demandent rien moins à l’école que de « former l’enfant au monde des adultes ».

Mais une telle proposition ne nous paraît guère satisfaisante en ce domaine. En effet, quel type d’adultes est-il demandé aux enseignants de former ? S’agit-il de former des dirigeants, des citoyens soumis, des futurs cadres pour la nation, des manœuvres, des ouvriers ? Le terme d’ « adulte » reste lui-même assez énigmatique. Entendons-nous ici une catégorie d’hommes ayant un jugement « mesuré » sur le monde ? Si tel est le cas, c’est de vertu dont il s’agit et il n’est pas certain que l’âge ait toujours à faire avec cette qualité là. Les enfants véhiculent parfois une mesure surprenante en certains domaines et peu(d’adultes) pourraient prétendre posséder en quantité suffisante cette qualité pour pouvoir l’enseigner à autrui. Alors que faire ?

Cette question de la finalité de l’éducation laisse perplexe et nous pouvons nous demander si la difficulté contemporaine qui est la nôtre de donner une réponse susceptible d’entraîner l’adhésion du plus grand nombre sur cette question n’est pas soit à l’origine de cette « crise » éducative que nous cherchons à analyser, soit le symptôme d’une maturité libérale subite en ce domaine , soit le symptôme d’une société éclatée qui transfert « inconsciemment » sur l’école l’ensemble de ses déchirements ; dans la négative, comment dessiner un possible en ce domaine ?

c)Le possible est-il possible et le silence actuel à son sujet est-il signifiant  ?

Rares sont aujourd’hui les auteurs qui nous proposent analyses et réflexions sur la question de la fin de l’éducation. Avant d’étudier cet abandon, essayons de définir ce qu’il peut nous apprendre.

La liberté par essence ne se définit pas, soutient-on parfois. S’il était possible de proposer une détermination indiscutable de la liberté alors qu’en serait-il de notre propre liberté, celle-ci devrait se soumettre aux règles fixées par la définition imposée or être soumis n’est-ce pas être contraint et ne pas être libre ? Certains peuvent être tentés de souscrire à une telle analyse. Ils peuvent, sans le savoir, conforter le silence actuel qui règne sur les fins de l’éducation à partir d‘un tel raisonnement.

Ils espèrent peut-être ainsi que ce vide pourrait être un moyen permettant à chacun d’épanouir en ce lieu la plus complète liberté de l’adulte et de l’enfant. L’école serait ainsi réellement ce que son étymologie lui demande d’être : l’espace de la « skolé » et du loisir. Mais une telle proposition ne peut prospérer. Elle semble quelque peu « paresseuse » malgré les séductions indéniables qu’elle nous offre car d’une part, une liberté complète est impossible en ce domaine. Il importe bien que certaines contraintes soient posées afin de sélectionner les élèves, les juger à partir de critères objectifs - d’où les programmes - ; d’autre part, si la détermination enchaîne parfois l’indétermination pénalise souvent. Il est difficile en effet de dessiner une « liberté en acte » si nous ne possédons pas « en puissance » un modèle nous permettant d’évaluer notre degré de liberté et  qui nous orienterait sur les mesures à prendre pour étendre celle-ci si nous la considérons comme un bienfait.    

D’aucuns favorisent peut-être donc le silence téléologique actuel pour mettre en exergue un certain libéralisme scolaire. Mais nous savons que si le droit n’est pas le juste, la liberté n’est pas nécessairement l’absence de lois. La loi en elle-même ne contraint pas c’est la loi liberticide seule qui emprisonne. Le silence en matière de fins éducatives n’est donc pas nécessairement propice à la liberté. Celle-ci serait mieux servie si nous parvenions à trouver des fins à l’école qui seraient acceptées par tous et qui ainsi favoriseraient cette liberté recherchée. Celui qui fuit un problème en a parfois terriblement peur dès lors, devons-nous considérer que le silence actuel en ce domaine plus qu’une force serait l’aveu d’une faiblesse  ?

Il serait tentant de penser de la sorte. Notre société est divisée. Elle n’est guère semblable à cette heureuse cité grecque idéalisée par les premiers philosophes et qui serait œuvre d’un habile législateur, orfèvre et tisserand, soucieux du bien-être de chacun et de l’unité du tout. L’école n’est en elle-même qu’un produit de ce système et les désaccords à son sujet masquent parfois des ruptures sociales profondes.

Ne pas « oser » exprimer clairement son point de vue en ce domaine revient parfois à refuser de heurter les différentes sensibilités, de ranimer de vieilles querelles. Cependant, la querelle ne s’efface pas par le silence. Le taire étouffe pour un moment les malaises mais ils finissent un jour où l’autre par émerger. Si le silence ou les désaccords actuels visent à la paix sociale, ce n’est guère la favoriser éternellement que de le maintenir. Alors que nous faut-il faire ? 

Le silence actuel n’est que « relatif », cela a été noté. Tous les auteurs n’abandonnent pas pour autant. Récemment, A. Jacquard a fait retour sur ce sujet ( Jacquard, Manent, Renaut 2003) en partant de l’étymologie du terme « éduquer ». Il nous précise qu’il nous faudrait éduquer pour « conduire l’élève hors de lui-même ».

Un tel souci est louable mais il est douteux, selon nous, qu’il puisse constituer une fin possible pour la sphère éducative. Outre, qu’il soit fortement remis en cause par nombre de demandes parentales et des élèves eux-mêmes qui réclament au contraire aux enseignants de les aider à découvrir leur « moi réel », ce projet se heurte à l’objection socratique faîte à Ménon : qui pourrait savoir ce qu’est l’altérité en sa totalité pour prétendre l’enseigner à autrui ? L’altérité, par essence, n’est-elle pas ce qui ne peut se connaître et se transmettre parce que trop « autre »  précisément ?

Mais d’aucuns pourraient trouver notre argumentaire bien réducteur et nous reprocher de ne pas voir dans les généreuses propositions de Mr Jacquard un appel fait à notre système scolaire pour être précisément plus à l’écoute de tout ce qui est « autre », à nous aider à nous ouvrir et nous épanouir.

Si c’est l’ouverture que nos auteurs nous proposent de favoriser par le biais de l’école, pourquoi ne pas ouvertement partir de celle-ci et faire de « l’épanouissement de la classe» un axe de recherche et de propositions propre à ouvrir vers de nouvelles fins possibles pour l’école ?

Mais si c’est d’ouverture dont il s’agit, de quelle ouverture l’école devrait-elle se faire porteuse ? Sur ce point, les projets évoqués plus avant nous semblent assez peu diserts bien que,en filigrane, il paraisse assuré que ces pédagogues de la modernité recherchent à reconstruire cet homme universel et cosmopolite que Kant voulait tout autant produire. Mais le projet final reste vague. Pourrions-nous cependant éviter un tel flou et faire des propositions plus précises en ce domaine ? Rien ne nous interdit de le tenter.

Pour répondre à cette question, sans souci d’exhaustivité, mais simplement pour « ouvrir », rouvrir ou  nourrir le débat, nous pourrions ici faire œuvre de proposition et soumettre un projet téléologique à l’éducation qui serait à la fois modeste et ambitieux, utopie et réaliste. Modeste/réaliste en ce qu’il chercherait continuellement à placer l’adulte et l’enfant au cœur de ce système, ambitieux/utopique en ce qu’il chercherait en eux à mettre en exergue ce qui est le plus élevé, non le plus humble. Ce faisant, l’école deviendrait ainsi un « espace »d’accueil ayant trois soucis conjoints  :


En premier lieu, l’école pourrait être un espace relationnel . En d’autres termes, si le travail est (aussi) pour l’adulte un lieu lui permettant d’exister socialement,de se faire des amis, de favoriser des rencontres. Pourquoi dès lors ne pas développer cette capacité à l’école et pourquoi ne pas ouvertement faire de celle-ci un lieu de convivialité permettant la rencontre inter-générationnelle et intra-générationnelle ?

Pourquoi ne pas permettre à l’école de constituer un espace permettant à de jeunes enfants du même âge de se connaître et de se rencontrer et à des adultes et des enfants de communiquer autour de thèmes neutres et révélateurs des personnalités de chacun ? Si l’école pouvait s’afficher comme ayant un tel projet, pourquoi dès lors ne pas diriger le projet éducatif dans cette direction ? Echanger, rencontrer l’autre ne sont pas en soi des fins méprisables.

Certains pourraient les trouver un peu « faibles » pour former l’armature d’un projet éducatif mais ces contempteurs ne nous expliquent nullement pourquoi ce bonheur de la rencontre n’est pas une fin possible à l’action. L’amitié a, de tous temps, été célébrée par les penseurs de l’antiquité et aider l’enfant ou l’adulte à se créer de nouvelles amitiés reste en soi un projet digne et parfaitement défendable. Mais cependant, l’école ne peut se réduire à n’être qu’un espace de « relations ».


En deuxième lieu, l’école pourrait être un espace de culture et d’information.

Les informations jugées essentielles pour la vie du futur adulte et pour permettre à l’enfant de vivre de manière la plus informée possible son enfance, peuvent y être transmises.

Des réflexions doivent alors être engagées à l’école sur  la famille, la religion, le métier, soi, les autres, la politique, le mal, l’entreprise ; à partir de données concrètes mais aussi de réflexions plus abstraites, assurant un recul.

Il est sans doute dommageable que de telles réflexions ne surgissent qu’en terminale en classe de philosophie. Il serait, selon nous, judicieux qu’elles surviennent plus tôt et au moins dès la classe de seconde et que cet enseignement soit délivré par des personnes ayant une certaine pratique de la vie, qui ne seraient pas nécessairement des « philosophes professionnels » mais auraient quelques informations de « bon sens » et « dument informées »  à transmettre aux enfants. Pourquoi ne pas envisager une élection de ces « sages » par la ville où se trouve le lycée ou l’école par exemple ? Cette question mérite débat. Cependant, il est regrettable que la question démocratique présente en de si nombreux points de notre vie soit aussi désespérément absente lorsqu’il s’agit de choisir certains enseignants.

Enseigner c’est apprendre, nous rappelait Augustin. L’école, Arendt avait raison de le souligner, ne peut donc être conforme à son projet éducatif si elle étouffe la parole des « élèves les plus doués », si elle brime les professeurs qui disposent d’un vrai savoir à transmettre et qui doivent être sélectionnés à cette fin. Mais ici « savoir » ne doit pas seulement s’entendre comme « savoir » livresque, mais « épistémè » au sens grec du terme : savoir « global » permettant de créer du lien et non de renfermer sur des spécialités qui écartent plus de la vie plus qu’elles ne rapprochent de celle-ci.   



En conséquence et, en dernier lieu, l’école pourrait être un lieu de recherche, de préparation et de propositions.

Elle pourrait devenir un lieu, favorisant de manière prégnante la réflexion de l’enfant sur son devenir, sur ce qu’il sera plus tard et les moyens de devenir non seulement le meilleur professionnel possible, mais également le meilleur parent, frère ou soeur, ami (amie), citoyen (citoyenne) qu’il (elle) pourra être.

En ce domaine, toutes les propositions peuvent être admises et si l’enseignant averti peut proposer quelques pistes de réflexions à ses élèves, il peut sans nul doute lui aussi recueillir des informations précieuses de ceux-ci. Ces informations peuvent ensuite être communiquées au monde adulte environnant qui en serait certainement enrichi. L’élève doit donc être formé à « penser » ce qu’il apprend et apprendre ce qu’il pense.

En conséquence, l’école ne peut relier si elle n’est pas elle-même reliée tant au savoir, qu’à la société dans laquelle elle évolue. Nos sociétés sont actuellement - et qui sait pour combien de temps encore ? - suffisamment riches pour pouvoir payer à des enfants de longues et « coûteuses » études. Il serait donc profitable pour tous que ces moments soient pensés pour permettre des échanges plus fructueux, des relations plus riches, un savoir plus étendu que l’enfant peut parfois - malgré ses maladresses - nous à approfondir et affiner.


Une limite sera nécessairement posé aux trois objectifs ainsi fixés . Cette limite mérite d’être soulignée. Celle-ci implique que chaque information transmise au sein de l’école soit considérée comme discutable, que l’élève ne la tienne pas pour définitivement acquise et qu’il puisse la remettre librement en cause sans être pour autant sanctionné à cet effet.

La proposition téléologique que nous formulons pour l’école permet donc d’éviter les extrêmes évoqués plus avant, que ce soit le cynisme désespéré ou l’idéalisme trop plein d’espoir. En effet, instruire l’enfant en l’aidant à penser sur l’instruction qu’il a reçu n’est pas en soi un objectif insurmontable pour un adulte dûment formé à cet effet. Il lui suffit d’être suffisamment informé sur les thèmes sur lesquels il intervient et au fait de quelques mécanismes susceptibles d’aider à la construction d’une réflexion.

Mais pour  transmettre, des moyens doivent être offerts à l’enseignant. Quels pourraient être ceux de l’école que nous avons esquissée ?   


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Les moyens envisageables pour réaliser les fins proposées

A quoi bon penser une politique si nous ne nous donnons pas les moyens de la mettre en œuvre ? Réfléchir sur les outils de l’éducateur c’est aussi réfléchir sur l’éducation. Ceux-ci doivent avoir un seul objectif : réaliser les fins que nous nous sommes assigné et donc permettre à l’école de demeurer cet espace de formation, d’information, d’aide à la pensée à la rencontre qu‘elle doit être sans tenir pour définitif le savoir transmis à l’élève.  L’autorité ouverte est l’un de ces moyens.

a) L’autorité ouverte : l’acte d’éduquer, et Kant a raison de le souligner, contient en lui-même le concept de « discipline ». Comment envisager en effet que le professeur (qu’il soit « conducteur », « guide » ou simplement responsable d’un groupe) puisse diriger l’élève s’il n’est pas investi d’un pouvoir lui permettant de coordonner, de rassembler et d’orienter les efforts du groupe ?

Cependant, comme Arendt l’indique (Arendt 1972), l’autorité n’est pas la tyrannie et toute personne en disposant ne saurait l’exercer sans loi en limitant l’usage. Le pouvoir du professeur, tout comme les droits des élèves doivent donc être encadrés par des lois. Or, si limites à l’autorité il importe d’y avoir, celles-ci doivent être pensées en fonction des fins assignées à l’éducateur.

L’autorité n’est qu’un moyen et, comme tel, elle doit être subordonnée aux fins qui sont assignées. En conséquence, lorsque le professeur en use il se doit de le faire afin de faciliter la transmission d’informations essentielles, aider l’élève à les penser en prenant le recul nécessaire, aider ce dernier à vivre en harmonie sa relation à l’école et à ceux qui la composent et donc permettre l’expression des élèves les plus doués en différents domaines afin de nourrir la classe. Il faut en effet éviter que la majorité impose sa dictature en interdisant aux « meilleurs »  de s’exprimer.

Cependant, cette autorité doit être « ouverte » , précisément pour permettre cet échange continuel, ce dialogue que requiert l’enseignement. En conséquence, sachant que les problèmes de discipline ne concernent souvent qu’un tiers des élèves, il importerait que l’usage de l’autorité puisse s’effectuer en liaison avec les différents organes chargés de délivrer des informations sur ces élèves dans l’établissement.

Il est également nécessaire, cela va sans dire, que l’autorité puisse s’exercer à la fois en toute impartialité mais également en tenant compte des histoires personnelles de l’enseignant et de l’enseigné qui influencent nécessairement la relation.

Il importe également de ne pas traiter les questions d’autorité de la même manière selon le lieu et le temps de l’enseignement. Une certaine prise en compte de la contingence semble requise en l’espèce et c’est ici que l’usage de l’autorité ne peut être seulement l’objet de théorisation mais implique un « savoir-faire » difficilement transmissible par celui qui aurait le bonheur de le posséder. « Ouvrir » son acte d’autorité consiste donc tout autant à s’ouvrir à l’universel qu’à la singularité de la situation du « jugé », à celle du « juge » et aux exigences du temps et de l’espace du jugement qui se jaugent et s‘apprécient différemment.

De plus, l’usage de la discipline n’est qu’un outil à la disposition de l’enseignant. Augustin a raison de rappeler dans son « De Magistro », qu’enseigner c’est « faire signe ». Or le signe est pluriel en ce  sens qu’il est pensé pour s’adapter aux différentes situations d’enseignement et aux natures singulières des enseignés.

L’autorité ne doit donc être utilisée qu’afin de « faire signe » à certains élèves et au groupe en son ensemble. Ceux-ci doivent être sensibles à ce vecteur de communication et si l‘autorité- au moment où elle est utilisée - risque de rompre le dialogue au lieu de l‘autoriser il vaut mieux- pour un temps - surseoir à son application. Il est, en effet, pour chaque situation, un signe qui convient. Savoir enseigner ou communiquer c’est être en mesure de choisir le signe adapté à la situation et à celui à qui l‘on désire parler. Celui-ci pourra, par exemple, être plus sensible à l‘image, au geste, à la parole, etc… qu’à l’autorité. Il importera d’en tenir compte avant d’en user.

En revanche, curieusement et la psychanalyse nous l’a enseigné : il est des êtres (ou des situations) qui réclament ce message fort que l’autorité permet de transmettre. L’autorité devient pour eux une nécessité, sans doute parcequ’ils sont devenus sourds à tous les autres signes .

Destinée à des élèves exceptionnels et à des situations particulières, l’autorité elle-même ne sera ouverte que si elle reste une mesure d’exception ou à tout le moins une mesure pensée. Elle doit n’être utilisée que lorsque les autres modes de communication avec l’élève ont échoué et lorsque nous avons acquis une certaine certitude, voire une intuition de son utilité. En conséquence, l’ensemble des conseils de la « pédagogie moderne » ne doit donc pas être rejeté sous prétexte de sa modernité ou de sa « nouveauté ».

Ces conseils constituent,en effet, pour le philosophe et l’enseignant un outil précieux permettant de le nourrir en réflexions empiriques tout à fait instructives sur le sujet. L’école, en tant que « mini-université » pourrait justement en ce domaine, favoriser les rencontres, susciter des échanges entre professeurs et entre établissements. Des échanges d’expériences pourraient être proposées et certaines tentées avec les élèves avec l’aide des universités.

Mais l’ouverture de cette autorité doit essentiellement concerner les élèves. En effet, elle doit toujours leur laisser une place afin de leur permettre une discussion sur les informations, les méthodes proposées par le professeur afin de poursuivre le travail de formation par l’échange que requiert l’école. Cette autorité ne doit cependant pas être le seul moyen mis à la disposition de l’enseignant. Elle n’est qu’une partie infime de ceux-ci.  Mieux, il est dangereux de lui accorder une place trop importante en ces temps d‘autoritarisme trop prononcé. Penser l’éducation n’est pas seulement évoquer la « discipline »  mais c’est également réfléchir sur tous les aspects de la questions éducative et notamment celle de la sélection et de la formation adaptées des futurs enseignants.


b) La formation et la sélection adaptées. Lorsque nous prenons connaissance de la littérature quasi-contemporaine sur la question de la sélection ou de la formation des enseignants, deux  positions se distinguent : les thèses d’Arendt et celles de Piaget.

Arendt, nous le savons (Arendt 1972), reproche essentiellement aux méthodes d’éducation « modernes » de négliger le savoir au bénéfice du faire. Elle considère que ces méthodes ont eu pour effet de maintenir l’enfant dans un monde séparé de celui des adultes et de permettre à une majorité d’imposer sa loi aux enseignants et aux plus doués du groupe.

La situation créée par cette pédagogie est telle, nous indique-t-elle de manière polémique, qu’aux Etats-Unis, nous sommes finalement parvenus à un système dans lequel les élèves en savent plus que leur professeur.

Ce refus de la « discipline » à tous les sens du terme est la preuve,selon elle, d’une démission des adultes et d’un refus de ces derniers d’assumer, en sa totalité, le monde qu’ils lèguent à leurs enfants. Elle propose semble-t-il de manière sous jacente, une sélection des enseignants en fonction de connaissances plus conséquentes dans les spécialités qu’ils enseignent. Arendt, en d’autres termes, appelle de ses vœux des enseignants spécialisés dans une matière.

Piaget, pour sa part, expose une théorie à l’exact opposé des thèses d’Arendt. Selon lui, nos systèmes éducatifs sont « dépassés »(Piaget 1972). Ils privilégient beaucoup trop la « transmission » du savoir par le professeur plutôt que son acquisition par l’élève. Les professeurs seraient, selon lui, devenus « hyper-spécialistes » sans aucune qualité pédagogique. Or pour notre auteur, l’enseignant modèle cherche plus à permettre à l’enfant de « reconstruire par lui-même la leçon plutôt que de l’écouter ». Notre auteur écrit ainsi : « comprendre c’est inventer ou reconstruire par réivention »( Piaget 1972). 

Alors qu’Arendt critique la domination de la psychologie et le savoir « généraliste »,Piaget entend remettre en cause « les privilèges abusifs de la philosophie » ainsi qu’une sélection des enseignants semblable à celle de l’agrégation qui formerait, selon lui, des spécialistes déconnectés des réalités des enseignés et de l’enseignement.

Bien que la critique des modes de sélection et de formation des enseignants ne soit pas nouvelle, ces deux thèses nous incitent à nous pencher à nouveau sur le sujet en ce qu’il est lié à la question d’une éducation adaptée. Mais comment trouver un mode de sélection qui permettrait de satisfaire à ce souci d’utopie « possible » que nous proposons de mettre en place ? Pour tenter d’y parvenir, une critique des deux thèses en présence nous paraît devoir s’imposer.

A la charge de Piaget, il importe de noter que son « attaque » contre le « privilège » de la philosophie est peu convaincante. En effet, les thèses qu’il développe sont elles-mêmes fortement inspirées des philosophes et, en lisant ce dernier, nous avons le sentiment de relire (avec certes des idées nouvelles sur le même thème) le Rousseau de « l’émile » ou Alain en ses « Propos sur l’éducation » qui écrivait notamment : « les travaux d'écolier sont des épreuves pour le caractère, et non point pour l'intelligence.…. » et qui rappelait «  Les cours magistraux sont temps perdu. Les notes prises ne servent jamais…. »

Le souhait de Piaget de former un élève cosmopolite ne parait guère éloigné du projet kantien et son appel à aider l’élève à penser est on ne peut plus « philosophique » en son essence même. La philosophie critiquée constitue donc, pour une grande part, l’un des socles de sa pensée. Piaget ne saurait nier que les philosophes ont permis le développement de son œuvre.

A la charge également du même Piaget, nous pourrions en effet reprocher, comme le rappelait  Alain Renaut (Renaut 2004), aux théories du « talent et de l’inventivité nécessaire du professeur » face à une classe nécessairement de bonne foi, une certaine tendance à culpabiliser le professeur qui ne parviendrait pas à créer ce fameux lien avec les élèves  et « a contrario » une trop grande « naïveté »  sur la « candeur» absolue et supposée de l‘enfance que le discours freudien lui-même a pourtant avec brio remis en cause et, avant lui, des auteurs comme Saint Augustin.
   
La philosophie que Piaget attaque est, en effet, en elle-même, le lieu de cette réflexion sur les principes et sur les fins. Si la philosophie est prééminente c’est parce que « le pourquoi des choses », qu’elle recherche, est primordial. Son objet fait d’elle la « science première » parce qu’il est lui-même premier.

Réduire le rôle que la philosophie doit jouer en matière d’enseignement serait donc une erreur. Au contraire, la philosophie doit redevenir première car celle-ci est la pensée des fins et des pourquoi. Or d’une part, toute action et pensée, quelle qu’elle soit est aveugle si elle n’a pas en priorité réfléchi sur ses causes. Or quelle est l’efficacité et la force d’une action qui ne sait pourquoi elle agit ?
D’autre part, en l’espèce, l’absence de réponses unanimement acceptées sur le sujet des fins de l‘éducation, voire l’insuffisance de débats plus ouverts et publics sur le sujet est facteur aggravant de la crise. En conséquence, pour réduire les effets de celle-ci, il ne faut pas réduire la place de la philosophie.

Une formation des enseignants qui seraient adaptée doit donc remettre en bonne place la réflexion philosophique sur l’enfance et sur l’enseignement. Cependant, si la philosophie doit être première, elle ne doit pas pour autant ignorer les autres savoirs mais les coordonner, les synthétiser et s’en nourrir pour les interroger. 

En conséquence, le bon enseignant doit,selon nous, non seulement être recruté en fonction de ses réflexions philosophiques et de ses connaissances dans son domaine d’exercice, mais il ne doit pas négliger le savoir technique pédagogique qui a été accumulé au cours des dernières années, sur la base de la psychologie et de la sociologie.

Le futur enseignant se doit donc d’être « ouvert » à sa spécialité mais également au philosophique pour partie première et à la pédagogie pour l’aide à la mise en œuvre de moyens adaptés à ces fins.

Cependant, l’ouverture ne doit pas être « béate » et nul ne se doit de tenir pour commandement toutes les conclusions de ces travaux, qu’ils soient philosophiques ou pédagogiques. Ceux-ci, telle la fameuse remarque de Freud sur l’inconscient, ne doivent être considérés que comme des hypothèses dont il est libre à chacun de juger la légitimité et la nécessité. Ils sont eux-mêmes susceptibles de réfutations.

Ainsi, l’enseignant doit être ouvert à toutes « méthodes actives », comme le précise Piaget, et qui accordent « de l’importance aux tâtonnements des élèves… ». La sélection et la formation de ce dernier doit permettre de trouver et de faire fructifier en lui un goût pour les « multiples interconnexions qui existent entre les savoirs. » et une ouverture à l’autre, à la polyvalence, à la complexité du réel.

En conséquence, ayant possession de son savoir spécialisé, l’enseignant peut également savoir faire preuve d’une approche globale des questions, disposer de l’expérience la plus riche possible, être lui-même ouvert au monde, avoir peut-être exercé plusieurs métiers, eu plusieurs expériences autres que celles de l’enseignement, avoir une vraie ouverture sur l’international voire sur d‘autres mondes que celui de sa seule discipline. L’expérience ou le savoir pratique ne sont pas à négliger. Ils permettent de relier l’intelligence au « réel » et de permettre à l’enseigné de créer plus de lien avec ce « monde adulte » vers lequel il va se diriger.  Piaget aura donc, selon nous, raison sur ce point.

Ce dernier demande également de privilégier beaucoup plus les universités. Il souhaite un enseignant global et des liens plus soutenus entre recherche et enseignement. Nul ne peut sur ce second point le contredire. Une société qui ne favorise pas le savoir supérieur axé sur la recherche et qui préfère privilégier le savoir « pragmatique » finit tôt ou tard par devenir aveugle. Ce sont la recherche et la pensée en effet qui ouvrent les esprits, les lumières nous l’ont enseigné mais nous l’avons oublié car nous avons privilégié le pouvoir contre le savoir.

La crise de l’éducation trouve également son origine dans ce privilège là car dans le même temps, de plus en plus , ce même pouvoir se décharge sur le « savoir » en lui reprochant de mal former les élèves et de  ne pas proposer de solutions.

En conséquence, la réflexion sur l’enseignement ne peut faire l’impasse d’une réflexion sur la formation et la sélection des enseignants. Celle-ci doit à la fois concilier le savoir « spécialisé» afin d’accroître l’autorité du professeur et permettre la diffusion d’un savoir réel et adapté, le « savoir » fondé en expérience afin de permettre à l’enfant de se trouver en présence de personnes qui « savent de quoi elles parlent », mais aussi peut-être de personnes disposant d’un savoir qui ne serait pas seulement limité à leur seule science. Pour parvenir à cette « conciliation », un retour sur la philosophie qui pourrait inspirer le choix des enseignants s’impose sans doute.   


c) La philosophie de la sélection des futurs enseignants et de la hiérarchisation du corps d’enseignement.

Penser philosophiquement l’éducation en tant que relation première que l’adulte noue avec l’enfant implique, selon nous, qu’une réflexion sans fard soit opérée sur la question de la philosophie qui inspire la sélection des enseignants et l’organisation hiérarchique du corps pédagogique. Sur quels critères devons-nous choisir nos enseignants et comment déterminer l’ordre hiérarchique des fonctions et des grades à l’intérieur du groupe des pédagogues ?

Une telle question est essentielle ici car savoir pourquoi tel enseignant est honoré plutôt qu’un autre, expliquer pourquoi telle personne sera jugée plus apte qu’une autre à enseigner est le signe que l’institution adresse vers l’extérieur et ce signe en lui-même ne pourra que la renforcer si celui-ci est en conformité avec les fins que le système poursuit et si celui-ci s’accorde avec la société à l’intérieur de laquelle elle évolue. En d’autres termes,éduquer dans le lien c’est éduquer en mettant ses actions en accords avec ce que l’on prétend transmettre.   

Parler de l’autorité est un point important mais l’éducation en son ensemble perdra son autorité et ne pourra permettre à ses représentants d’en user si ses modes de sélection ne sont pas légitimés par une pensée cohérente sur le sujet.

Cette question philosophique ne peut être pensée indépendamment du problème du « souverain bien ». Déterminer ce que doit être un enseignant et savoir comment hiérarchiser les carrières à l’intérieur de ce corps implique avoir fait un choix préalable sur le sujet.

En ce domaine, trois grands types peuvent selon nous être dégagés : l’éudémoniste qui place le bonheur au-dessus de tous les autres biens et l’idéaliste qui considère que la recherche des essences
importe plus que toutes les autres. Entre les deux une conception intermédiaire placerait le juste au centre de nos préoccupations en ce que sans justice une société ne peut ni être heureuse, ni mettre en œuvre un savoir bénéfique. Si nous pouvions faire un parallèle avec nos organes, l’éudémoniste serait centré sur l’estomac- s’il est proche des cyrénaïques -, l’idéaliste de la tête et le juste du cœur.

Quelle option choisir entre ces trois systèmes ou organes ? La réponse, selon nous, ne fait aucun doute : celui qui permet de satisfaire aux fins que nous avons fixés pour l’école et en général tout modèle qui permet de promouvoir la démocratie « réelle » au détriment de tous les autres modèles. Mais lequel de ces biens que sont le bonheur, le savoir ou la justice est-il le plus adapté à la fin poursuivie ?

Avant de répondre à cette question, essayons de nous interroger sur la philosophie qui inspire précisément notre système de sélection en France aujourd’hui.

Les enseignants sont, pour l’essentiel, recruté sur un modèle de concours qui privilégie un savoir spécialisé. Cependant, ce modèle est « quelque peu » atténué par un mécanisme qui permet à des professionnels non titulaires de pouvoir accéder à certaines tâches pédagogiques eu égard à leur expérience d‘enseignants.

Cette « ouverture » reste cependant, chacun le sait, fort relative car les postes prestigieux en recherche ou à l’université sont rarement offerts à des personnes ayant ce « profil » et la sélection des enseignants sur concours interne s‘opère essentiellement sur des critères de connaissances spécialisées.

En conséquence, la sélection s’opérant dès le plus jeune âge, notre système favorise essentiellement un savoir « inné » sur un « savoir » acquis. En d’autres termes, certains étant réputés plus aptes à connaître, à être savants, sont sélectionnés le plus tôt possible pour permettre ensuite de transmettre le savoir aux autres. Les connaissances théorétiques sont donc fortement valorisées au détriment de toutes les autres formes de connaissance alors paradoxalement que la recherche et la pensée n’ont jamais été autant coupées des autres sphères de la société.

Ce paradoxe doit nous faire réfléchir mais un tel modèle doit-il être aussi fortement critiqué que Piaget -ou Bourdieu en son temps - se sont autorisés à le faire ?

Notre but étant de permettre à l’école d’ouvrir l’élève à lui-même, aux autres et au savoir, puis à penser sur ce savoir, rien n’interdit de considérer que seuls quelques « élus » pourraient être en mesure de posséder les outils nécessaires pour ainsi permettre à leur prochain de s’ouvrir vers l’autre et à eux-mêmes. La pensée exige une « mise à l’écart » et un retrait. Mais ce retrait se doit-il d’être « total » ? Comment parvenir à une solution adaptée en ce domaine ?

L’éducation doit se préoccuper de savoir et non de pouvoir. La philosophie, si elle cherche l’idéal, pense que le savoir détermine le pouvoir et non l’inverse. Certes, cet « idéal » a rarement été réalisé cependant, nous l’avons indiqué, notre dessein est également de nous positionner dans une logique de « démocratie réelle ». Or, nous le savons, la démocratie des pensées qu’implique la démocratie « réelle », ne place nullement certaines idées au sommet de toutes les autres, exception faite de celles qui interdisent que l’on porte gravement atteinte à son bon fonctionnement.

Le fait que l’intelligence soit le fait de quelques élus est en soi une vérité tout à fait acceptable et digne. Cependant, une telle affirmation n’est pas certaine. L’empirisme n’a jamais été réfuté sur ce point. Il inspire d’ailleurs une bonne part de notre épistémologie contemporaine et, en conséquence, nous pourrions également envisager un mode de sélection qui mettrait en évidence cette philosophie au détriment des autres. En d’autres termes, l’intelligence pratique et l’expérience ne sont pas plus à négliger que l’intelligence « théorique ».

Les postes d’enseignants seraient ainsi offerts à ceux qui bénéficieraient d’une expérience ou d’un savoir pratique non négligeables dans le domaine d’activité dans lequel ils enseignent et qui auraient une « expérience » de la vie qu’ils pourraient transmettre à nos enfants qu‘ils soient d‘ailleurs issus du « privé »  ou du « public» . Rien aujourd’hui ne permet d’expliquer les différences qui subsistent ici entre ces deux pôles de notre activité.

Ce système d’une sélection empirique ou « pluridisciplinaire » des enseignants aurait peut-être les faveurs de Piaget. Cependant, il n’est guère plus indiscutable que le précédent car l’empirisme n’est en lui-même nullement une vérité absolue. Les adeptes de l’idéalisme pourraient le remettre en question. Selon eux, le savant ne se construit peut-être jamais par l’expérience, seule une « élection » déciderait du savoir et du non-savoir. Il est difficile de les contester tout à fait sur ce point. Pourtant, il est également périlleux de nier que l’expérience, l’ouverture d’esprit, jouent un rôle essentiel dans la formation du savoir. Alors comment nous déterminer ?

Si le souverain bien dans une classe est le savoir, mais également s’il est le bonheur ou la justice, rien ne permet d’opter pour une thèse au détriment d’une autre. En effet qu’est-ce qui nous garantit qu’un savoir spécialisé ou au contraire fondé sur l’expérience serait de nature à favoriser l’un plutôt que l’autre ?

La justice n’impliquant pas l’égalité mais exigeant l’impartialité, nulle thèse (élection ou formation par la vie) ne devrait être favorisée. L’hyper-spécialisation, ou la pluriformation,voire la bi-valence sont toutes aussi acceptables les unes que les autres car les unes et les autres reposent sur des épistémologies à la fois incontestables et discutables cependant.

En conséquence, la philosophie idéale qui devrait inspirer notre système de sélection et de formation des enseignants devrait tout autant favoriser une certaine expérience de la vie, qu’une sélection de quelques éléments de qualité, retirés le plus tôt possible du « groupe » afin de pouvoir s’épanouir en toute tranquillité, que la spécialisation à outrance ou la bi-valence.

Platon, dans « les lois » souligne d’ailleurs ce point. Les magistrats ou « archontes » qu’il propose de désigner dans sa cité « idéale » se doivent selon lui d’être choisis soit en vertu d’un savoir théorique, soit à partir d’un savoir pratique. L’intelligence est sans doute ce qui permet de relier l’un et l’autre. Un projet d’éducation qui favoriserait le lien doit donc penser à opérer une sélection qui permettrait de manière équilibré de choisir les enseignants ou de fixer des hiérarchies dans ce corps en fonction soit de l’expérience, soit du savoir théorique. L’élection ou l’attitude face à la vie ( l’expérience) peuvent toutes deux, de manière égale, être au cœur d’une philosophie du choix de l’enseignant . 

En optant pour cette égalité, notre système éducatif gagnerait en cohérence et les élèves eux-mêmes auraient la certitude non seulement que « tout ne se joue pas dès les premières années » ( et ce avec les inégalités sociales, culturelles qu’un tel « slogan » implique) mais qu’au contraire, une « seconde chance » reste toujours possible, voire que l’expérience acquise n’est pas toujours vaine et sans objet. Ils pourraient peut-être de temps à autre bénéficier de cette possibilité de comprendre en « croisant les savoirs ».    

Un tel choix aurait d’ailleurs pour effet de rendre plus cohérent la démarche pédagogique elle-même qui d’une part, trouve sa légitimité dans le fait qu’elle permet à des « adultes » (supposés avoir une expérience plus conséquente que les enfants) de transmettre un savoir du fait de leur âge et d‘autre part, permet à ceux qui « savent » d’informer ceux qui ne savent pas.

Le fait que cette stricte et juste équivalence entre les deux types de sélection, les deux formes d’intelligence (théorique ou pratique) n’existe pas aujourd’hui en matière de sélection des enseignants laisse donc perplexe. Cette ignorance est liée sans doute au mépris que nous avons pour l’éducation et l’épanouissement des adultes en tant que parents des enfants enseignés. Or peut-on penser l’éducation sans penser précisément à cet adulte et à son épanouissement ?


d) La formation et l’aide à l’épanouissement des adultes : nul ne peut et ne doit penser l’éducation sans penser également aux adultes. Nul ne saurait, selon nous, penser l’autorité à l’école s’il ne pense pas conjointement la question de la vie des parents de ceux qui seront sanctionnés ou « autoritarisés » ou de ceux-mêmes qui seront « élus» dés le plus jeune âge. Penser l’autorité sans épanouissement de l’autre reviendrait à nier l’autorité elle-même.

En effet, à quoi servirait de « donner des leçons » à un enfant ou de le sélectionner dés son jeune âge si rentré chez lui, il se trouve face à des parents déprimés, non reconnus, vivants des situations d’injustice et si surtout ces mêmes parents ne sont pas aidés pour « comprendre » leurs nouveaux enfants éduqués ou si ces mêmes parents ne sont pas aidés pour trouver une place reconnue dans la société ?

Si l’école pour tous et pour les adultes est un slogan qui fait peur et n’est d’ailleurs sans doute par une nécessité, il faut peut-être développer des logiques de seconde chance, elles-mêmes liées à cette question de l’expérience reconnue en milieu universitaire et enseignant, voire aider les parents de ces « jeunes » doués ou non à trouver une reconnaissance sociale, soit par le biais de telle action associative, ou communautaire, soit par le canal d’une action commerciale ou artisanale elle-même remise à la juste et digne place qu’elle mérite.

La réflexion sur l’éducation,ainsi que celle sur l’enfance ne peuvent donc être tout à fait découplée d’une réflexion sur les adultes et plus particulièrement sur les communautés et sur les métiers. En effet,  l’ « enfant difficile », le « jeune » (comme le disent les médias) , mais aussi l’enfant favorisé intellectuellement ou culturellement ne doit pas être isolé de ses parents. S’il s’agit de penser son épanouissement jusqu’au bout, celui-ci ne peut s’opérer sans une prise en compte du sort des adultes qui lui sont proches.

En conséquence, toute réflexion sur le sujet éducatif impose également des réflexions sur la question communautaire, sur notre relation aux métiers et aux adultes en général dans notre monde. Si en effet, l’enfant « minoritaire » ou non est élevé au-dessus de tous les autres il sera alors de fait  « coupé » des siens et s’il n’a aucun  moyen de les aider, il sera alors isolé et malheureux et ce malheur finira par rejaillir sur la société toute entière sans pouvoir créer en lui les motivations nécessaires pour lui donner le désir de se battre pour elle.


En conclusion, penser les moyens de l’éducation implique donc de penser ceux-ci comme un tout et effectivement de manière philosophique. Il est donc nécessaire que la philosophie, contrairement à ce que souhaitait Piaget, retrouve la place qu’elle a perdue en matière d’éducation : la première. Mais à la décharge de Piaget, il faut également que la philosophie redevienne cette science de la globalité qu’elle a cessée d’être et qu‘elle accepte de faire fi de certaines craintes pour aborder de front certaines questions de notre modernité.

Pour ce faire, des réformes seront sans doute nécessaires. Elles ne seront sans doute pas suffisantes,  si la philosophie elle-même ne réaffirme pas le lien qu’il importe de penser et créer entre toutes les réformes politiques, éducatives et éthiques : réformes qui doivent si possibles nous aider à réfléchir de manière plus globale sur le rôle de l’enfant dans nos sociétés, la place que nous entendons réserver à la famille, la question au sens large de la justice sociale, du travail, des associations, du communautarisme et de la nature du droit.

Pensées éminemment philosophiques qui démontrent, si besoin en était, que la philosophie de l’éducation ou la science de l’éducation est bien une « branche » de la philosophie, mais une branche dont il ne faut pas oublier le lien avec le grand arbre de toutes les pensées et de toutes les réformes visant au vrai et au juste.

Reste à savoir ce qu’est la vérité et s’il faut toujours la dire et en tout moment. Nous avons choisi ici de délivrer celle que nous pensions être telle en ce domaine. Il y aurait encore beaucoup à dire sur un tel sujet, approfondir les débats, confronter des analyses, créer des zones de discussions plus ouvertes entre les tenants de logiques « minoritaires » et professeurs eux-mêmes ayant subi un « cursus » spécialisé et donc différent des nôtres.

Nos idées sont toujours influencées par nos représentations. Nous le savons depuis Hume et Kant au moins. Cependant, si le vrai absolu existe et s’il est fait pour être découvert,cette découverte ne pourra se faire qu’en croisant ces représentations diverses qui doivent s’exprimer et qui parviennent parfois - exceptionnellement- à s’accorder lorsque le désir d’être juste s’harmonise avec nos actes et que les actes justes sont favorisés par des institutions adéquates. 

Jean-Jacques SARFATI
Professeur de Philosophie
Juriste et ancien avocat à la Cour d’Appel de Paris. 




BIBLIOGRAPHIE

Ÿ    Ouvrages ou articles de fond
Alain « Propos sur l’éducation ». Puf 1962
P. Ariès « L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime ». Seuil 1971
Augustin « De Magistro ». Klincksiek 2002 Trad B Jolibert
H. Arendt « La crise de la culture ». Trad P Levy. Gallimard 1972
A. Boyer « Du monde perdu à l’homme enfin moderne », Esprit , 11, Nov. 2002.
                « Le républicanisme, ou ne pas avoir de maître », Commentaire, n° 108, Hiver 2004.
J. Dewey « Démocratie et éducation ». Trad. G Deledalle. A colin. 1975
Erasme « De Pueris. De l’éducation des enfants ». Trad P Saliat. Klinsieck. 1990
E. Kant « Reflexions  sur l’éducation » Trad A Philonenko. Vrin 1993
J .Locke « Quelques pensées sur l’éducation ». Trad G Compayré  Vrin 1992
H. I Marrou « Saint Augustin et l’augustinisme ». Ed Maîtres spirituels. 1955
J. Piaget « Pédagogie ». O Jabob 1998
J .Piaget «  Ou va l’éducation ? » Denoël/Gonthier 1972
A. Renaut « La libération des enfants ». Hachette littérature. 2002
                  « La fin de l’autorité ». Flammarion 2004
A. Renaut. P Manent. A Jacquard « Une éducation sans autorité ni sanction ? » Grasset. 2003
JJ .Rousseau « Emile ou de l’éducation ». GF 1966 Présentation M Launay
JJ Sarfati « Foucault, archéologue malgré lui du lien élu, exclu » la célibataire été 2004

Ÿ    Témoignages
W. Reymond « Paroles de profs ». Flammarion. 1999
P. Milner « A bas les élèves ». Albin Michel. 1999
T. Desjardin « Le scandale de l’éducation nationale ». R Laffont.1999

20 octobre 2006

Quelle autorité ?

LE CONCEPT-CONCEPTION D'AUTORITE OUVERTE


La question de l'enseignement pose souvent celle de l'autorité. Mon idée est celle d'une autorité ouverte. Qu'est ce que j'entends par ce terme ? Un concept/conception. Je vais m'expliquer sur ce terme.

En matière d'autorité (à l'école, dans la vie politique, dans l'entreprise), deux grandes thèses sont soutenues : la première déplore ce qu'elle appelle " la fin de l'autorité" et la seconde soutient la thèse exactement contraire en condamnant une société devenue trop autoritaire. Ces deux pensées sont dans le vrai selon moi car nous sommes tous égaux et aucun homme ne peut soumettre son prochain. Mais, dans le sens inverse, nous savons que l'homme est un "animal social" et qui dit société dit gouvernement. Or nul ne peut sérieusement concevoir un gouvernement sans autorité. Comment, en effet, harmoniser des points de vue qui divergeront et des ambitions qui se contrediront ?
Un concept peut, peut-être, rapprocher ces deux thèses opposées : celui d'autorité ouverte. En tant que tel, il implique autorité et donc hiérarchie, pouvoir de commandement et de décision. Mais cette autorité est ouverte. Que faut-il entendre par ce terme ? La société ouverte est celle qui se veut plurielle, démocratique et non refermée sur elle-même. Mais l'autorité ouverte est plus que cela. Elle a une conception ouverte de l'ouverture. Cela signifie que l'on peut tenter de délimiter ce terme mais que toute délimitation proposée ne serait que provisoire et conditionnelle. Nous pourrions donc proposer une délimitation provisoire et conditionnelle de l'autorité ouverte et dire qu'elle pourrait se déployer en amont et en aval de la décision à prendre.
En amont, l'autorité ouverte pourrait impliquer : délibération, refus de préjugés et surtout de croire que nos problèmes trouveront leurs solutions en se réfugiant dans le passé. En aval, elle supposerait une option délibérée pour le dialogue, l'ouverture à l'autre et donc l'acceptation du fait que l'autorité peut-être partagée. Elle privilégierait la médiation au détriment de la sanction. Elle admettrait les revirements  en cas d'erreur avérée. Elle placerait, au coeur de ses préoccupations, le souci de s'adapter continuellement et de saisir chaque cas dans sa singularité .
Mais surtout, cette autorité se voudrait "ouverte sur elle-même". Cela signifierait qu'elle accepterait que nos visions du monde sont toujours trop limitées et qu'il importerait continuellement  d'une part, de les ouvrir (par le dialogue, l'échange, le voyage, le conseil, l'écoute de l'autre et l'acceptation de tout ce qui est étranger en nous et chez les autres) et d'autre part, de refuser le savoir figé.
En conséquence, elle accepterait, face à tout problème qui se présenterait, non pas de calquer la décision à prendre sur des décisions déja prises, mais d'anlayser le probléme présent puis d'inventer au besoin des méthodes adéquates pour le résoudre. En d'autres termes, l'autorité ouverte penserait que la vérité serait toujours à dévoiler et jamais acquise. Pour cette raison elle serait, ce que j'appelle,  un concept-conception c'est-à-dire: un terme qui n'aurait pas de limites en soi mais qui devrait sans cesse se reconstruire et se découvrir pour se retrouver.

Jean-Jacques Sarfati
Professeur de Philosophie
Ancien Avocat à la Cour de Paris
Juriste

   
20 octobre 2006

Avertissement sur ce blogIl ne prétend pas

Avertissement sur ce blog
Il ne prétend pas présenter ma pensée ou mes analyses de manière figé sur les sujets. Il expose ma pensée « en recherche » sur ces questions. Mes travaux plus aboutis sont publiés dans des revues. Le projet est simplement d’avancer mes analyses, de les « pro-jeter » afin d’un dialogue le plus ouvert possible sur ces thèmes et afin de faire avancer la recherche « dia-loguée »sur ces questions (étymologiquement rappelons le, le dia-logue, suppose au moins deux voix ou deux pensées…)

Buts de ce blog
Réfléchir sur l’enseignement supérieur - recherche, fin de cycle de secondaire, université - et les penser comme un « tout unique ».
Proposer des réflexions et analyses sur cette question essentielle pour la vie démocratique de la cité.
Réflexion en propositions de méthodes et d’analyses de fond sur le domaine.
Ici aussi je ne prétends nullement à concurrencer les spécialistes sur le sujet mais à proposer un avis de non spécialiste, d’un praticien. La seule spécialité universitaire que je revendique est celle de philosophe politique et juridique, plus encore à l’intérieur de cette spécialité c’est la question du droit qui me préoccupe.
Mais être philosophe implique aussi considérer que tous les thèmes sont liés. Or selon moi, la pédagogie est un moyen qui vise aux mêmes fins que le droit mais il y vise avec des outils qui sont encore plus élaborés, plus nobles.
Pour paraphraser Kant  et M Walzer je souhaite dire que dans la « sphère du politique » elle-même à déterminer mais en s’opposant rigoureusement aux définitions que C Schmitt donne de la « notion de politique », je dirai   
qu’il existe une  « sphère des fins » et une  « sphère des moyens ».  Les deux sont liées mais distinctes. La sphères des moyens se constitue selon moi d’un ensemble hiérarchisé qui va du plus « noble et plus compliqué, plus ardu et qui nécessite le plus gros effort de travail, d’analyse, d’écoute et d’échange » au moins « noble, etc.. »
La sphère des moyens commence donc par l’amitié ou l’amour qui est le moyen le plus noble qui soit et le plus difficile et elle s’achève par la guerre, en passant par( ordre décroissant) par  la discussion, la pédagogie et le droit.
En conséquence dans mon idée, le moyen le plus « excellent » au sens aristotélicien du terme est l’amitié( la philia) puis vient la discussion ( le logos) puis ensuite l’enseignement ( paiedeia) le droit (diké) puis la guerre…
Clausewitz avait donc raison « la politique est bien poursuivie par la guerre » mais il se trompait car alors que la « politique » est une sphère qui sert des fins plus nobles qu’elle, la guerre n’est qu’un moyen, le plus vil de tous.
Le droit est donc le moyen qui, dans ma hiérarchie, se situe au-dessus - mais tout juste au-dessus - de la guerre.
En conséquence au dessus du droit vient l’enseignement. Or dans tout moyen il y a des degrés (le génial Leibniz nous l’a souvent rappelé, rien n’est discontinu…) . Il y a plusieurs manières d’envisage le droit, la guerre, la discussion, l’amitié même.
Mais donc il y a plusieurs manières d’envisager l’enseignement. L’enseignement supérieur est ( ou devrait être) à l’intérieur de la paédeia le parent le plus excellent, le plus noble, le mieux respecté, celui qui devrait attirer tous nos soins or tel n’est malheureusement pas le cas.

Tout est inversé. La guerre vient avant le droit le plus souvent et les militaires sont souvent mieux considérés que les juristes ( je n’ai rien contre les militaires mais ils ne sont qu’un dernier recours) et les juristes moins bien que les professeurs.
A l’intérieur des professeurs, ceux qui font de la recherche, perfectionnent considérablement leur art, sont moins bien traités que ceux qui se contentent de répéter continuellement le même cours.
Quant à la discussion et l’amitié n’en parlons pas. Cela vaut mieux car dans la hiérarchie il n’y a rien de plus méprisé aujourd’hui ( dans nos démocraties pourtant parle-mentaires… (mais le lien entre le parle et le « ment » est déjà le signe d’un mépris que la langue implique et qu’il faudrait d’ailleurs un jour songer à réformer. Plutot que « parlements » ,il faudrait sans doute un jour parler de « forum »…Au sens ici où c’est bien ce qu’il y a de plus « fort » après l’amitié qui se joue dans une cité.

Notre but dans ce blog est donc de tenter d’apporter ma pierre à cet édifice là, de tenter ( avec ceux qui le voudront bien) de poursuivre des analyses déjà entreprises, de donner un point de vue afin d’essayer de tenter de faire avec d’autres que l’enseignemetn supérieur soit le plus supérieur possible.

1) Elitisme ou « ouverture à tout va…? »
Voici ici le prototype du faux débat sur le sujet. Il est ridicule de prétendre l’un et l’autre. Il faut les deux tout simplement : l’excellence et l’ouverture.
Il est criminel en effet de laisser des jeunes ( ou des moins jeunes) coupés du savoir car comme Hobbes l’a noté ( mais chez lui il y avait si ce n’est une espèce de double langage à tout le moins une certaine pointe d’ironie) l’homme est un être de « curiosité », il « veut apprendre ».
Sans doute « veut-il » apprendre parce qu’il est inquiet. Mais l’inquiétude n’est qu’un élément de surface et Hobbes ne l’a pas vu.
L’homme est inquiet car ce qu’il souhaite avant tout c’est exprimer sa « singularité »…L’idée d’exprimer sa singularité est souvent « méprisée »…Or c’est un tort.
Etre soi, se vouloir « singulier » et exprimer sa « singularité » c’est être « pleinement soi ».
Le « soi plein » est peut-être un rien - Hume, Montaigne et autre ont eut raison peut-être de le rappeler - mais ce rien là est le seul auquel nous tenons cependant…D’ailleurs qu’ont cherché à faire d’autre Hume et Montaigne si ce  n’est exprimer leur ressenti, le découvrir, se connaître ….?
Il n’est certainement pas qu’une volonté. Mais il implique pour être , un « dévoilement continuel »et ce « dévoilement » est impossible lorsqu’il n’est pas mené par un travail de recherche.
La recherche est affaire de degré. Cependant plus la recherche supérieure est « supérieure » et plus celle qui est inférieure le sera un peu moins.
Il faut donc d’une part ouvrir le plus possible l’enseignement universitaire et supérieur au plus grand nombre mais ne pas se leurrer sur l’hétérogénéité des élèves, des étudiants et des professeurs….Se leurrer sur le sujet serait d’ailleurs faire preuve d’injustice et pour ces élèves, ces professeurs et ces institutions qui les accueillent et pour le peuple même qui leur permet de s’exprimer, de vivre pleinement leur souci d’apprentissage et de recherche.

Comment ? Et bien ? Notre pays a fait un gigantesque effort après la guerre pour construire de nouveaux lycées et quelques nouvelles universités. Il doit faire plus et mieux en ce domaine.
Il doit ) d’une part rénover ceux qui existent, hausser le niveau à leur sujet et b) ouvrir plus encore le système en construisant de nouvelles universités, de nouveaux lycées , de nouveaux laboratoires de recherche en faisant en sorte cependant de permettre  de penser le plus possible le lien entre ces établissements mais aussi afin d’assurer la qualité de ceux -ci ?
Comment ?  Faut-il constamment insister sur les « devoirs des meilleurs ? «  . Les devoirs des meilleurs sont une réalité mais j’aimerai aussi ici que l’on parle aussi et de leurs droits et de ce que doit être les « meilleurs ».

Les « meilleurs » ne sont pas des héritiers - mais ils peuvent l’être aussi -.
Les meilleurs sont uniquement ceux qui, en acte, et Leibniz avait raison de le souligner agisse le plus possible « en acte » pour le plus grand nombre. En d’autres termes, ce sont ceux qui sont « kantiens » en « acte » mais sans idéalisme car le sacrifice n’est pas le fait du meilleur mais il est le fait du « fou ».
Au dessus de l’enseignement , il y a le dialogue, au dessus du dialogue il y a l’amitié mais- Aristote l’avait noté au-dessus de l’amitié il y a la  vérité et de la vérité il y a cette « substance première  » cet « ousia » qu’est l’individu au sens premier du terme et ensuite l’espèce, puis le genre.

Les individus excellents sont ceux qui n’oublient pas que la substance se décline dans ces trois dimensions mais qui surtout parvient à les faire vivre en acte dans sa vie de tous les jours.

Dans le doute c’est toujours celui là qu’il faut favoriser puisqu’il aidera le plus grand nombre. Leibniz a eu raison de le souligner….Mais évidemment il ne s’agit ici que des moments de « doute » ou d’exception. Dans le quotidien, il faut penser équitablement, de manière égal à tout le monde.

En conséquence, à la question : qui aider les établissements supérieurs ou ceux qui le sont moins ? Que faire ouvrir ou fermer l’enseignement ?  Quels sont les meilleurs , les héritiers ou les méritants ?

La réponse nous parait indiscutable ( pour le moment mais nous sommes prêts à la discussion sur ce sujet)

Dans la normal , ce sont tous les établissements d’enseignement qu’il faut aider et en conséquence il faut rétablir la hiérarchie des moyens comme nous l’avons indiqué. Penser « moyens » en ce domaine ce n’est pas que penser « argent » mais c’est évidement aussi y songer.

En cas de doute, de problème, de priorité ( mais les moments ou il faut trancher prioritairement sont plus rares qu’il n’y paraît, les hommes voient souvent l’urgence, là où elle n’est pas) alors ce sont les supérieurs qu’il faut aider.
Ces supérieurs doivent être « distingués » pour ce qu’ils font et donc des hiérarchies existent qui se révèleront dans ces moments d’exception.

Cependant le supérieur s’il peut être un héritier ne l’est pas nécessairement, c’est essentiellement celui qui dans sa vie et en acte s’accomplit pleinement et vie pleinement sa « singularité » d’homme qui est en premier lieu de se vivre soi, puis d’aider ensuite les autres et le plus grand nombre à se vivre pleinement lui-même. Le supérieur ou l’excellent est donc celui qui a le sens de ces limites et qui sait parfaitement les harmoniser, qui sait trouver ce point de « communication entre les substances »

Le bon politique n’est autre que celui qui sait opérer ces distinctions, qui sait les repérer et qui sait les faire vivre au quotidien. Ce n’est pas celui qui sait distinguer l’ennemi de l’ami ou le désigner à la foule, le jeter « en pâture »au peuple. C’est celui qui sait qui est et ami de lui-même et ami du peuple, lui-même ami du genre et de l’espèce et qui sait qu’au bout du compte le ressort secret du monde - ou idéal - se situe dans cette vie « en acte » de ces singularités là.







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